Je préfèrerais avoir pour ami Jean-Luc Godard ou Céline Sciamma, ça m'éviterait d'aller voir, un peu par obligation, des choses comme Le Discours. Que voulez-vous ? Il faut savoir être sociable. Voici donc l'adaptation de (l'inadaptable) roman de Fabrice Caro, déjà, reconnaissons-le, un peu bancal au niveau du scénario. Caro est drôle, très drôle, mais il échoue complètement à monter une histoire qui se tient et à ménager une progression dramatique à ses gags, d'où l'impression de lire plutôt un recueil de bonnes vannes qu'un vrai roman. Le film a exactement le même défaut, fatalement, mais a en plus l'immense désavantage de proposer une illustration aux gags du livre, ce qui en alourdit chaque effet. A la tête de l'entreprise, donc, le talentueux Benjamin Lavernhe : il campe le loser de base, petit mec sans caractère englué dans un dîner de famille alors que sa gonzesse tarde à répondre à son sms d'amour envoyé quelques heures plus tôt. Une des seules qualités du film : Lavernhe est bon, drôle, parvenant à donner de la nuance à ce personnage tout de caricature, et à rendre crédibles les situations les plus absurdes du quotidien. Le gros défaut : son personnage écrase littéralement tout le reste de la distribution. Et les autres acteurs, pauvres ombres de personnages très binaires et stéréotypés, ne parviennent jamais à trouver leur voix dans cet exercice d'auto-centrage qui les voue de toute façon au mépris. Profondément cynique dans son regard sur les gens, supérieur à mort, résumant tout à une ricanante pantomime proche d'un vaudeville très ringard, le film enchaîne les bons vieux gags avec constamment un sourire de connivence à l'égard de son spectateur : ils sont cons, hein, les gens qui ne sont pas comme nous ?

Voici donc un défilé de situations drolatiques, au mieux assez bien croquées, au pire poussives, entièrement portées par notre acteur, et par la mise en scène audacieuse de Tirard : c'est vrai, le gars ose le huis-clos, restant toujours autour de cette infernale table familiale. Mais pour rendre compte du monologue intérieur du gars, complètement en roue libre et voué au fantasmes tous azimuts, il a l'idée de dynamiter ce décor étriqué façon théâtre : on peut pousser une cloison et se retrouver dans le cabinet d'un écrivain, on peut décrocher d'un dialogue pour s'adresser directement au public, on peut faire entrer un pianiste romantique dans le champ pour appuyer une situation, on peut entrecouper le repas par des rêveries, notamment des discours de mariage tous plus improbables les uns que les autres. Ça peut marcher, et ça marche parfois, c'est vrai. Le grand truc, voyez l'enjeu, c'est que le futur beau-frère du héros lui demande de faire un discours à son mariage, ce que notre homme envisage avec une terreur totale (et je peux le comprendre). Avec une telle tension dramatique, jugez de l'ambiance géniale du film. Malgré par ci par là quelques gags assez drôles, malgré l'abattage du comédien principal, malgré quelques idées souvent empruntées d'ailleurs à l'univers BD de Fabcaro, Le Discours ne décolle pas d'une pochade générationnelle un peu "esprit canal", ou d'un théâtre de boulevard un peu modernisé, où on se moquerait une millième fois du tonton raciste ou de la belle-mère jalouse. Trop long, trop léger, trop inégal et surtout trop hautain : raté.

Le Discours de Laurent Tirard - 2021

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