Une odeur de bière tiède et de sueur sous les bras plane sur ce bon vieux documentaire. Il faut dire qu'il est consacré à un sujet qui fleure bon les phéromones mâles et l'hygiène pensée en option facultative : Shane MacGowan, leader des vénérés Pogues, groupe-phare de la scène punk des années 80, le gusse qui a réuni miraculeusement la musique traditionnelle irlandaise (avec ses pipeaux crispants et ses refrains enjoués) et le rock le plus bourrin. J'ai adoré en leur époque les Pogues, et sais donc grâce à Julien Temple de nous les remettre en mémoire de si belle façon. Même si, tristesse et effarement, MacGowan s'avère être aujourd'hui une triste épave s'apparentant à une éponge (pour le taux d'alcool dans le sang) qui aurait fricoté avec un chacal (pour le rire guttural assez effrayant). Le bougre, à peine conscient, prostré façon vieux chien, revient pourtant sur sa vie, et le fait avec la flamboyance héritée de ses grandes années : il est mytho, superbe, immonde, crasseux, génial et touchant.

Armé toujours d'une agressivité intacte, il se penche surtout, façon alcoolo sentimental, sur ses jeunes années, cette enfance passée en Irlande, idyllique et pastorale si on en croit les images gentiment taquines de Temple : celui-ci se sert de l'animation, du montage et de l'effet spécial, pour nous balancer des images façon sépia bien trop lisses pour être honnêtes. On y voit le jeune Shane courir dans l'herbe verte et nourrir des agneaux dans une ambiance à la fois kitsch et mièvre, et on sent bien que le cinéaste n'est pas complètement dupe des souvenirs parfaits du chanteur. Il enregistre simplement le profond attachement de MacGowan à son pays, attachement qui bien sûr marquera sa vie : les paysages irlandais, le caractère de ses habitants, les remous politiques qui l'ont marquée, son statut de paria vis-à-vis de l'Angleterre, tout ça a tressé sa façon de faire de la musique, d'envisager son rôle d'artiste. On apprécie beaucoup ces scènes qui resituent le personnage dans un contexte, et expliquent sa carrière.

Mais on aime plus encore la suite : l'arrivée de MacGowan à Londres, sa découverte de la scène punk, puis son ascension en tant que chanteur et l'apogée des Pogues. Non seulement l'époque est parfaitement restituée, mais le film est plein d'images d'archive vraiment incroyables, où notre ami, complètement bourré, tient la scène avec ses potes, braillant "Dirty Old Town" ou "A Pair of Brown Eyes" avec une conviction qui fait plaisir. En alternance avec ces images, le MacGowan d'aujourd'hui est questionné sur sa vie, seul ou accompagné de témoins (sa femme, son ami Johnny Depp) et l'éclairage des unes par l'autre est passionnant. "On faisait de la meilleure musique quand on était sobres, mais on rigolait beaucoup moins, donc...", dit-il, et c'est tout un état d'esprit perdu qui refait surface, toute une façon d'envisager la musique, entière et pure. Le film tait la chute qui suit ces grandes années, c'est un peu dommage, mais on aura au moins eu le plaisir de ce témoignage rare sur cette période. Un témoignage plein de mensonges évidents (le gars ne craint pas les fanfaronnades) mais où perce une réelle nostalgie, où se fait jour un témoignage lucide et désabusé. Le dernier concert-hommage, à ce titre, est très touchant : on y voit un MacGowan très diminué, recevant les bravos d'une foule de notables qu'il a toujours conspués, mais finalement en paix avec eux et avec lui-même, sous les yeux énamourés d'un possible héritier, Nick Cave. Fockin'film.

Crock of Gold de Julien Temple - 2020

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