On s'attend forcément, quand on attaque un film ukrainien, à se frotter à une critique anti-Poutine et un bon vieux mélodrame sur la guerre. Point du tout ici : réalisé avant les conflits, Le Serment de Pamfir, étonnamment discret sur l'état du monde, tient plutôt du conte mythologique que du pamphlet politique et a plus tendance à jouer à Kusturica qu'à Ken Loach. Ce n'est pas pour me déplaire, et j'ai plutôt bien aimé ce film, malgré ses ventres mous et ses petits tics agaçants. Malgré aussi sa trame un peu archi-revue par un siècle et demi de films de "réhabilitation post-délinquance" : ici, c'est un type, Pamfir donc, qui revient de Pologne après avoir fui, on le comprend vaguement, son Ukraine suite à quelques exactions classées hors la loi. Bien décidé à se refaire une santé, il se consacre à l'amour immodéré qu'il a pour sa femme et pour son fils. Mais celui-ci met le feu à l'église du village ; et il va bien falloir rembourser les frais. Pamfir reprend ses petits trafics, ce qui va l'amener à affronter THE méchant parfait, Oreste, le mafieux du coin et du dimanche. Un doigt pris dans l'engrenage fatal, et qui va amener notre brave type assez loin dans la gabegie. La plus belle part du film, ce sont les personnages, à commencer par Pamfir lui-même : c'est un ours au grand cœur, à la fois être humain (une grande tendresse émane de sa masse) et bête sauvage (il fait l'amour à sa femme ou se bat contre une dizaine de types avec la même série de grognements et la même soif d'en découdre). Son côté bestial est d'ailleurs renforcé par l'univers du film, intéressant et baroque royaume de mythologie où les masques d'animaux sont rois, où on joue avec l'animalité des gens avant de les prendre dans des pièges à loups (superbe scène où un homme redevient un enfant puis une bête sous la douleur). La femme et le fils du héros sont eux aussi très attachants, tout comme la pléiade de personnages qui les entourent, jumeaux simplistes, mère courage joueuse, voyous ricanants et parrains de carnaval.

L'humanité et la poésie de ces personnages compensent un univers un peu clicheteux, très coloré et agité, archétype de "l'âme slave" pour Occidentaux. On s'ennuie un peu devant ce catalogue de motifs excessifs qu'on peut retrouver chez un Kusturica ou dans le cinéma des Balkans en général. Pendant tout son milieu, le film perd beaucoup de son intérêt, tant la descente de Pamfir vers les emmerdes est attendue, déjà vue, tant le suspense reste dans les chaussettes, tant tout est couru d'avance. De temps en temps, Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk (record du monde, au passage, du cinéaste au nom imprononçable, Weerasetakhul est dépassé) relance l'intérêt par le sens de sa mise en scène, il est vrai très spectaculaire et inventive. Mais ne seraient les personnages, on aurait tendance à considérer ce film comme une énième et inutile variation sur l'éternelle histoire de rédemption ratée qu'on voit depuis toujours. Et puis, petit truc qui finit par nous faire pencher du bon côté de la balance, il y a le final : splendide moment de carnaval effréné, notamment grâce à un plan-séquence de toute beauté, très bestial pour le coup, et où toute la petite tragédie du film finit par trouver son dénouement. Celui-ci est franchement bouleversant ; rien que pour ce dernier quart d'heure, on applaudit Sukho.

Le Serment de Pamfir (Pamfir) de Dmytro Sukholytkyy-Sobchuk - 2022

Partager cet article