Ca peut pas faire de mal, de temps en temps, de laisser s'exprimer son côté fleur bleue. Malgré son ton un peu tristounet, même s'il se termine plutôt mal, Une Valse dans les allées fait figure de candidat à la grande consolation du monde : il narre une histoire d'amour qui ne dit pas vraiment son nom entre deux solitaires dans les allées anonymes du grand capitalisme occidental, entendez dans un supermarché, lieu photogénique et symbolique qui constitue quasiment le lieu unique du film. Christian y est engagé comme magasinier de nuit au rayon boissons, Marion y travaille le jour au rayon confiserie, et ces deux-là, timidement, lentement, vont se rapprocher peu à peu et finir par envisager de commencer à penser qu'ils auraient peut-être pu, si la vie en avait décidé ainsi, se toucher la main. C'est de ce niveau-là, dans l'ineffable, dans le non-dit, dans l'approche millimétrée, dans la pudeur extrême. Une relation un peu désuète, dans un monde libéral en pleine puissance économique, un couple hors du temps et gentiment désaccordé, des tout petits gestes esquissés et des minuscules attentions mimi, voilà ce qu'on nous donne à voir, le tout sous le regard d'un vieux magasinier qui mettra fin à l'optimisme du film sans qu'on l'ait vu arriver. Car le film est faussement candide en fin de compte, traitant finalement de l'impossibilité de la beauté au sein de la société marchande moderne, ou genre.

Stuber est habile pour dresser des petites séquences tout en subtilité, et prend tout son temps pour faire grandir les sentiments dans le cœur de Christian, héros de cette histoire banale. De temps en temps agréablement comique, quand il développe le caractère introverti de son personnage, ou quand il le confronte à la vivacité de Marion, de temps en temps émouvant, quand il pointe du doigt la misère de ces petites gens, il fabrique un film attachant et parfois surprenant, sur les traces d'un Kaurismäki pourrait-on dire : même façon de réduire le texte au minimum (Christian ne parle que quand il se brûle), même humour à froid, même façon très détournée de faire de la politique. C'est l'incontournable Franz Rogowski qui se tape le rôle, et je dois reconnaître que je n'aime définitivement pas beaucoup ce mec, qui a l'air de se cantonner dans les rôles de simplet, curieux choix ; et c'est l'immarcescible Sandra Hüller qui fait son étrange amoureuse, et elle s'en tire bien mieux (belle première rencontre entre les deux, au son du ressac de la mer). Le gros problème finalement, c'est que le film dure deux heures, et qu'à force de reculer sans arrêt le moment de dire les choses, de pratiquer l'infiniment petit et délicat, Stuber finit par lasser plus que de raison. Sur un tel sujet, une demi-heure de moins aurait été mieux. Ce décor de supermarché, intrigant, est parfois mal traité, on ne croit pas beaucoup au contexte : les rayons sont vides, le monde extérieur absent, choix dommageable pour inscrire vraiment nos héros dans un contexte social valable. On a un peu l'impression d'un conte, d'une fable, mais dénué d'événements saillants et de traits vraiment personnels. De la froideur, là où on aurait aimé quelques couleurs chaudes parfois, plus de lâcher-prise dans les sentiments. Reste un film doux et agréable, qu'on regarde d'un œil intéressé...

Une Valse dans les Allées (In den Gängen) de Thomas Stuber - 2018

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