Carlos Sorin fait dans le non-dit, dans le presque rien, dans le minimalisme, voyez-vous ; mais à force de ne raconter que le minimum vital, on peut finir par passer à côté du minimum syndical. Jours de Pêche en Patagonie a tout pour plaire, il est charmant, remarquablement joué, il prend place dans de très beaux décors épurés, il ne fait pas de tapage et assume sa modestie comme un des Beaux-Arts : mais il dit trop peu pour être vraiment intéressant. On se retrouve un peu sur sa faim à la sortie du cinéma, pas plus avancé ni ému ni interpellé qu'en y entrant.

On comprend bien qu'on a voulu ici filmer sans esclandre une sorte de chaos intérieur. Un homme arrive en Patagonie pour y retrouver sa fille, prenant comme prétexte un besoin de vacances après une cure de désintoxication alcoolique et une pêche au requin. Petit à petit, par touches infimes, Sorin dresse une biographie de son personnage : on apprend que le gars n'est pas un père irréprochable, qu'il ne sait même pas que sa fille a eu un bébé, que la mère est depuis longtemps partie ailleurs, etc. A travers de petites scènes sans façon, on tente de nous montrer que le sourire de façade de ce bon gars cache en fait un tourment profond, un étonnement face au monde qui ne serait pas que candide (le gars est traité presque comme un personnage de burlesque à l'ancienne) mais aussi terrorisé. Mais il eût peut-être fallu, à un moment donné, lâcher vraiment les chiens, amener un évènement, un tournant dans la trame qui puisse laisser libre cours aux vrais sentiments qui animent cet homme. Or, point : Sorin retient tellement qu'il finit par tout garder pour lui. On ne comprend pas le pourquoi de ces rencontres (avec un entraîneur de boxe, avec de jeunes auto-stoppeurs, avec un patron de pêche), on ne comprend pas, pour tout dire, la nécessité de cette non-histoire. Le regard du cinéaste a beau être d'une bonté totale, jusqu'au béni-oui-oui presque, on n'arrive pas à entrer dans cette vision angélique des rapports humains ; il n'y a qu'un chien qui grogne mollement pour amener un peu de noirceur à la chose : à part lui, tous les êtres sont gentils, lumineux, pleins de commisération et de douceur. Même en cherchant du côté de la mise en scène, on reste sur sa faim. Il y aurait eu de la place pour opposer la grandeur des paysages argentins à la petitesse de ce personnage, pour le placer au sein de la grande nature pour mieux le confronter à ses démons, voire pour développer une sorte de road-movie immobile, bloqué par le bout du monde ; mais de la Patagonie on n'aperçoit rien, et on reste dans une suite de plans dévoués à l'acteur principal, sans imagination, sans idée. Le film aurait presque pu se dérouler à Romorantin sans qu'on y perde grand-chose.

Après ça, reconnaissons pourtant que le film a du charme, comme une toute petite musique qui vous trottine dans la tête quelques minutes, disons. On ne s'ennuie curieusement pas, on suit ça avec bienveillance et indulgence. Mais on a un peu envie de crier à Sorin de nous passer le sel, ou de louer un requin, pour que sa partie de pêche ait un peu plus d'assaisonnement marin.

Jours de Pêche en Patagonie (Días de Pesca) de Carlos Sorin - 2012

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