Peter Solan, ce slovaque au regard pointu sur la société de son temps, nous livre une huis-clos où les enfers sartriens prennent la forme d'une boîte de nuit. La nuit, dans ce genre d'endroits, tous les clients sont gris mais ne viennent pas forcément du même milieu. C'est justement là que réside le clou du spectacle, non pas tant dans ces filles à moitié dénudées qui se trémoussent, ni dans cette orchestre de cuivres qui envoie du bois, mais dans ce mélange des genres, des milieux : le temps d'une soirée, tout ce petit monde, tous ces multiples caractères se croisent et vont d'illusions en désillusions... Au centre de ce film deux hommes (un dragueur et un gérant de la boîte mal dégrossi) et deux jeunes femmes venues simplement... pour s'amuser. On va se tourner autour, peut-être craquer, peut-être s'embrasser, ou se repousser : tout est possible... Autour de ces jeunes gens de milieu, dira-t-on, assez modeste, moyen, on va aussi avoir droit aux portrait d'individus plus ou moins hautains, plus ou moins casse-couilles... Un chef d'entreprise qui dilapide sa thune en multiples tournées et qui se croit tout permis, un vieux couple qui tente de se faire oublier et qui ronge sa tristesse, un vieux commis voyageur allemand déplumé et dragueur, un électricien qui a percé dans les néons... On sent bien que les deux jeunes filles sont un peu le centre de l'attraction, en cette soirée, et chacun va tenter sa chance avec ses armes : l'argent, la tchatche ou la drague de base plus ou moins classieuse... Un concentré d'une époque qui derrière les danses, l'alcool, et les quelques rires de complaisance ne va pas forcément se finir en apothéose...

C'est une gageure que cette unité de lieu et de temps, pour ne pas dire d'action et l'on sent que Solan, autour de ce carcan, laisse une grande dose d'improvisation à ces acteurs. Les jeune gens parlent un peu de tout et de rien mais on sent que, allez, le temps d'une soirée, si chacun est prêt à se lâcher un peu, tout peut arriver... Un couple en particulier va se former, connaître son pic (dans une cour enneigée, youpla boum, on a connu plus romantique et cosy...) avant de finir... on dira, plus ou moins bien... Derrière ce fil rouge, cette petite draguouille de jeunesse, ces moments d'oubli et de joie fugaces... un peu glauques et forcées (on apprend en cours de route que les deux donzelles ont économisé pendant un an pour se payer cinq jours de vacances...), on fera la connaissance d'individus qui se la pètent un peu et qui se révèlent plus ou moins recommandables - on découvrira les "tares" de chacun d'entre eux progressivement... L'habit ne fait pas le moine, c'est clair, et il y a une évidente causticité derrière ce regard posé sur ces "responsables", ces gens costumés, par le cinéaste ; une causticité à l'image de cette scène où un serveur décide de faire entrer pour un temps des "sans dents" dans la boîte : devant le trémoussement des danseurs, les vieilles ne peuvent s'empêcher de rire de toutes leurs dents (juste deux parfois) devant ce spectacle ridicule... C'est cette atmosphère de malaise qui plane sur l'ensemble de la soirée malgré les éclats de rires, à tel point qu'on se demande comment cette dernière va se terminer : tragiquement, platement, déceptivement ou avec une ultime pirouette ? Solan réussit en tout cas son pari : nous tenir en haleine juste le temps d'une soirée, oscillant constamment entre sens du spectacle et pathétisme, le regard acerbe (et slovaque) du cinéaste se révélant inexorablement, intelligemment... Bien vu.

Before tonight is over (Kým sa skoncí táto noc) (1966) de Peter Solan

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