Toshiro Mifune est mexicain ! Aussi incroyable que cela puisse paraître (oh ben si quand même), Mifune se fond dans le corps de ce moustachu alcoolique d'Oaxaca aussi facilement qu'un litre de téquila dans mes veines. C'était une gageure et le Toshiro (qui apprit son texte phonétiquement et se retrouve tout de même doublé) transforme l'essai avec brio. Alors oui, il écope d'un rôle de loser smaller than a dice gratiné qui le forcera à faire moult grimaces : branleur, joueur, dépensier, homme à femmes (la sienne et la prostipute du coin, la belle plante Flor Silvestre), on ne peut pas dire que notre homme soit un exemple de vertu. Pourtant, il rêve un jour d'endosser le rôle de "mayordomio", un rôle donné chaque année à un homme intègre et riche payant l'ensemble des festivités pour tout le village... La route est longue pour Toshiro et ce malgré une femme et une poignée d'enfants dévoués ; ces derniers n'aspirent qu'à la réussite via leur travail mais les foirages successifs de leur père (buveur invétéré, travailleur vite fatigué, joueur qui ne sait jamais s'arrêter, coureur de jupons et bientôt accusé d'avoir tenté de tuer le fils du patron qui sautait une de ses filles) ruine à chaque fois leur labeur... Toshiro écope d'un an de prison (ce qui permet au moins à sa femme et ses enfants de ne plus avoir son poids sur le râble) mais en ressort guère plus assagi... Il continue, à sa sortie, de se faire "plumer" à chaque fois qu'il tente de gagner le gros lot mais aura finalement malgré tout l'opportunité (après avoir littéralement vendu un des siens...) d'accéder à ce rang suprême de Mayordomio : le début de la reconnaissance ou la chute finale ?

Mifune se donne corps et âmes dans ce rôle pour le moins excessif : on oublie rapidement que notre homme est né en terre nipponne et on prend plaisir à le voir ricanant, picolant des litres de téquila comme de simples petits bols de saké, lorgnant d'un air égrillard la gorette peu farouche du coin, frappant a l'envi ses enfants (c'est sa façon de leur montrer qu'il les aime, fort), faisant le beau. Mifune est un peu en free lance, convenons-en, mais il donne du relief à ce type pleurnichard, couillon, irresponsable et peu sympathique. Il a la chance de pouvoir faire éclater son caractère tempétueux dans une mise en scène relativement soignée, elle, par Ismael Rodriguez. Ce dernier ne lésine pas sur les moyens pour nous faire croire à ces scènes paysannes d'exploitation du mescal, à ces fêtes de village grandioses, à ces troubles ambiances "vaudou" (ruiné Mifune veut vendre son âme au diable et organise un sorte de rituel auprès d'une église) ; et comme l'image, ce noir et blanc très lumineux de jour et joliment ombré de nuit, est en tout point magnifique, on est rapidement happé par ce film qui s'attaque à la trajectoire pathétique d'un homme ridicule... Seul Mifune détonne dans ces paysages secs et apaisants et on sent bien dès le départ que le gars, qui ne peut s'empêcher de s'agiter comme un bon diable pour croire en son destin, va finir dans le mur... Toshiro supplie, Toshiro ricane, Toshiro jubile mais le retour de bâton risque d'être violent. Un personnage démesuré qui convient parfaitement au grandiloquent Mifune, un personnage qui s'agite dans un bocal de téquila jusqu'à l'asphyxie - une mise en scène somptueuse et ambitieuse se met en place autour de ce pantin qui ne peut que courir (le rush de l'ultime scène...) à sa perte. Belle découverte mexicaine avec un nouveau petit "numéro" très surprenant, et ce en terre étrangère, de notre éternel héros Mifune.

Animas Trujano (Ánimas Trujano (El hombre importante)) (1961) de Ismael Rodríguez

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