Un fort relent de libertarisme et d'anarchie émane de ce cartoon improbable, qui a mauvaise réputation à cause de ses défauts techniques, mais qui moi m'a bien fait rigoler. On est d'accord : au niveau de l'animation pure, c'est dégueulasse. Dessins répétés quarante-deux fois, mouvements saccadés (c'est du 6 images/seconde ou genre), fonds unis et peints au rouleau, on est dans le minimum syndical du dessin animé, moins ce serait de la simple BD. Picha et Szulzinger ne s'embarrassent pas beaucoup de soucis techniques, le rythme est dans les chaussettes, la musique est piochée dans les 5 disques qu'ils ont dans leur discothèque, les personnages sont caricaturaux et sans profondeur, même les couleurs débordent... Voilà qui pique les yeux et les oreilles, et bien souvent on soupire devant le bâclage complet du bazar, qu'on croirait fabriqué au plus vite dans une cave sans lumière. Dans ce sens, les critiques de l'époque ont bien eu raison d'envoyer La Honte de la jungle aux oubliettes et de s'affliger devant l'amateurisme et le dilettantisme des créateurs du truc. Il est vrai qu'un peu de soin de ce côté-là n'aurait pas nui, et aurait peut-être permis au film de passer les années.

Mais ceci dit, à côté de ça, on ne peut que s'extasier devant le ton totalement libéré employé dans le scénario, et dans le détail des séquences. Toute l'intelligentsia de l'époque en prend pour son grade : les féministes ont dû piquer un infarctus devant le machisme primaire et les raccourcis sexistes troglodytiques ; les tenants du bon goût ont dû frôler l'AVC devant l'impolitesse crue ; les amoureux de Disney ont dû s'évanouir devant les approximations du scénario ; les anti-racistes ont dû s'étouffer devant les provocations au premier degré ; et même les fans de Tintin ont dû béer de la bouche devant le déboulonnage en règle de leur héros, qu'on aperçoit rapidement dans une séquence marrante où ses tendances catholico-colonisatrices apparaissent toutes nues. Ce qui intéresse Picha ? le cul, et pratiquement rien que lui. Chaque plan du film contient ses fines allusions à la chose, et il pousse à chaque séquence un peu plus loin le bouchon de la gauloiserie à la Hara-Kiri. Pour résumer : June, la fiancée de Tarzoon, est enlevée par une armée de bites pour être livrée à la Reine du coin, une vamp à 8 paires de seins qui veut lui piquer son scalp. Notre héros, n'écoutant que son courage, court la sauver, et passera son temps à se prendre des arbres dans la tête, à se faire tirer sur le chboube par un singe et à déclencher des catastrophes, alors que June parviendra à se tirer toute seule comme une grande des griffes de la reine Bazonga. Entre temps, Tarzoon aura croisé des cannibales, des explorateurs véreux, des stars de ciné nymphomanes, un touriste capitaliste, des bites néo-nazies (...), et toute une kyrielle de personnages sexués, obsédés, phallo-centrés et cons comme des paniers.

L'esprit des années 70 est là, et bien là : peu importent les finitions, il importe de rigoler le plus frontalement possible aux provocations du film, qui propose un éventail valable de toutes les positions sexuelles. Les animaux sont dotés d'organes turgescents, les soldats sont des grosses bites pas regardantes au viol et à l'éjaculation d'acide (...), ça parle taille de sexe et grosseur de boobs à chaque dialogue, vraiment on ne s'ennuie pas. Tout ça est fait dans une atmosphère libérée qui décoince pas mal l'univers du dessin animé, jusqu'alors réservé aux enfants, et même l'aspect mal foutu ajoute au côté punk de ce film très expérimental. Même si le résultat fait grincer des dents, on ne peut que savoir gré à Picha de secouer ainsi le cocotier, de le faire avec une telle bonne santé, et de nous servir un film hilare, impoli et scandaleux.

La Honte de la jungle de Picha et Boris Szulzinger - 1975

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