On ne s'attend pas, en voyant la signature de l'oublié Wolfgang Petersen au générique, à tomber sur un film aussi foncièrement honnête et spectaculaire que Das Boot. Et il a fallu l'appel d'une sirène bienveillante en conseils pointus pour que j'envoie ce film de plus de trois heures, qui s'annonce comme un pensum historico-humaniste lourdaud. Eh bien je remercie ladite : j'ai été immergé façon cuirassé allemand dans cette histoire d'hommes entre eux, pas si éloignée d'un Ford des grands jours, qui allie véracité historique et ambiances claustrophobes tout en développant quelques personnages forts et humains vraiment beaux. Le scénario tient sur un timbre-poste : un équipage allemand embarque dans un sous-marin en 1941 pour aller descendre quelques destroyers de la flotte alliée. Il y a là le capitaine, vieux briscard aux opinions limite limite (il est pas fan du Führer, ce con) ; il y a l'ingénieur en chef, droiture aussi grande que son abnégation et son courage ; il y a un correspondant de guerre, petit poulet du jour qui va découvrir les affres du combat en mer ; et puis il y a l'équipage, une cinquantaine de gars taillés dans l'écorce qui s'entassent dans ces quelques mètres-carré de tôle soumis aux vagues, aux torpilles ennemies et aux dangers d'implosion sous la pression (le vaisseau est destiné à aller à 90 mètres, mais si on le pousse et qu'on ne craint pas les craquements, on peut pousser à 250). On assiste simplement à l'une des sorties du vaisseau, et au quotidien de ces hommes enfermés dans un bâtiment de quelques mètres-carrés sous une masse de flotte. J'aime autant vous dire qu'on est mieux à Charleville-Mézières, au hasard : la sensation d'enfermement est prégnante dès le départ et se fera sentir tout au long de la projection, et la caméra très adroite de Petersen rendra à merveille justice à cette impression de claustrophobie, en usant du travelling avant et arrière le long de l'unique couloir qui traverse le bateau, ou en rassemblant le plus grand nombre d'acteurs possible dans son cadre.

Il ne se passe pratiquement rien là-dedans. A peine subit-on les tirs ennemis, à peine tremble-t-on pour la solidité du sous-marin. Les ennemis, lointaines silhouettes scrutées dans le périscope, deviennent presque abstraits, et ce ne sont que par les missiles qu'ils envoient, et qui représentent à chaque fois une menace terrible pour nos héros, qu'ils marquent leur présence. Peu à peu, le risque change de camp : ce ne sont plus les Anglais et leurs torpilles meurtrières qui menacent, c'est l'état de santé mentale de ces hommes prisonniers de la carcasse du bateau qui peut s'effondrer d'un moment à l'autre : jolie séquence par exemple du machino jusqu'ici impeccable qui pète un câble et devient fou furieux. Le danger de couler, tout simplement, c'est ce qui fait la trame du film, très tendu malgré sa lenteur, très anxiogène malgré son absence presque totale d'action. A sa place, on assiste à de très belles scènes d'attente, où chacun est tendu vers le moindre son, où on attend la prochaine explosion pour savoir si on va survivre ou couler. Petersen maintient à merveille la tension à son maximum, même dans les moments plus calmes (les repas entre officiers sont des duels tout aussi acérés que les combats avec la flotte ennemie). Il le fait le plus simplement possible, en exploitant toutes les possibilités que lui donne la promiscuité de son décor, duquel on ne sort pratiquement pas (sauf pour une première scène d'un cynisme et d'une tristesse ravageurs) ; et en dirigeant supérieurement ses acteurs. Ils sont hyper crédibles, épais malgré l'absence de précision sur leur passé, et doivent porter des personnages intelligemment écrits (ce candide journaliste qui prend le rôle du spectateur et qui se retrouve on ne peut plus impliqué dans ce cauchemar, ce capitaine eastwoodien à la fois héroïque et casse-cou, auto-destructeur et glorieux). Le film joue merveilleusement entre le respect admiratif pour ces hommes pleins d'abnégation, prêtes à mourir pour la patrie, et un côté "Quelle connerie, la guerre" (la fin, très amère). On se retrouve finalement en face d'un film d'une grande noblesse, d'une belle pureté, qui utilise le trait le plus simple possible pour rendre compte de l'horreur de la mort, et qui parvient à rendre attachant chaque personnage. Un film très réussi, donc.

Le Bateau (Das Boot) de Wolfgang Petersen - 1981

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