Curveball est un film édifiant à défaut d'être passionnant au niveau du cinéma. On y voit, décortiqué avec précision et audace, le mensonge en action, à travers le cas véridique d'une affaire d'état dramatique : la déclaration de guerre des Etats-Unis à l'Irak sur la base de faux documents révélant la présence d'armes chimiques sur le territoire du bon vieux Saddam. On connaît tous les images de Colin Powell exhibant à l'ONU des schémas apportant la preuve de l'existence de ces armes, on sait tous désormais qu'il s'agissait d'un mensonge pour déclencher les hostilités et se venger sur un bouc émissaire du 11 septembre ; ce qu'on sait moins, c'est l'implication de l'Allemagne dans ce processus, elle qui la première a dévoilé l'existence des armes, puis en a su l'inexistence mais a étouffé l'affaire par orgueil, ce qui a débouché sur les millions de morts irakiens. Une erreur tragique et absurde qui repose finalement sur un seul homme : Rafid Alwan, réfugié irakien qui, pour éviter l'extradition a extrapolé et menti. Johannes Naber raconte cette "boulette" sur un ton tragi-comique, ne refusant jamais les gags absurdes et la légèreté pour pointer les échecs de son pays et les tristes conséquences qu'ils ont eues.

Comme souvent les affaires d'état, celle-ci est tellement énorme qu'on ne peut effectivement qu'en rire, avec un certain cynisme malheureusement. Le film nous montre un duo désaccordé comme on les aime : d'un côté, le fameux Alwan, menteur, lâche, pathétique, de l'autre, le spécialiste des armes chimiques, Wolf, engagé pour interroger le bougre. Quand Wolf met la main sur un possible filon d'anthrax, il jubile, et ses supérieurs avec lui ; mais quand le mensonge est avèré, il rentre dans une spirale de rejet/protection de son complice irakien, cherchant à tout prix à le sauver des griffes des Américains tout en s'affligeant de la bêtise du gars, tout en tentant de mettre à jour l'erreur qu'il a commise, tout en obéissant à la machination d'état. Un petit mec finalement balancé dans une affaire beaucoup trop grosse pour lui, et qui tente de rattraper le coup. On aime cette façon de raconter la grande histoire par le tout petit bout humain de la lorgnette, un petit mot échappé lors d'un interrogatoire pouvant déclencher, façon efet papillon, des millions de morts à l'autre bout de la planète. Et Naber réussit bien à rester dans l'humain malgré la grandeur des appareils d'état mis en branle, à montrer toujours le désarroi de son petit héros pathétique plutôt que les énormes rouages de la machine. Il appuie même sur la trivialité de certains épisodes, une fuite devant la CIA en luge ou une voiture qui s'embourbe, ressort comique principal de cette comédie politique sans façon.

C'est au niveau cinéma que ça pêche un peu plus. Si on apprécie le scénario, le regard d'un cinéaste à la fois attérré et amusé par cet épisode de notre histoire récente, on est moins convaincu par la mise en scène très académique de la chose, par ce manque de rythme dans les gags, par cette interprétation inégale (Dar Salim est très amusant, mais Sebastien Blomberg est moins convaincant, peut-être parce qu'il a un jeu trop froid, trop à distance, et les seconds rôles sont assez caricaturaux). Le personnage principal est assez flou, dans un premier temps assez héroïque et compétent, dans un deuxième complètement ridicule voire clownesque,et Naber réussit mal la métamorphose de l'un en l'autre. Plusieurs pistes du scénario sont écartées, comme l'histoire d'amour avec une agente de la CIA ou les rapports père/fille à peine esquissés ; le film devient ainsi à la fois trop long (autant couper ce qui n'est pas abouti) et trop court (les personnages sont des ombres). Restent une histoire aussi incroyable que révoltante et une façon agréable de la raconter, et ça peut suffire.

Curveball (Curveball - Wir machen die Wahrheit) de Johannes Naber - 2020

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