Il y a quand même des destins peu communs, ma bonne dame, et si vous en voulez un pas banal, je vous conseillerais (avec l'ami B**t**n, qu'il en soit oint) ce documentaire sciant. Les Angulo sont une brave famille nombreuse de Manhattan, assez rigolos avec leur coupe de cheveux des années 80 et leur passion pour Quentin Tarantino, qu'ils expriment en retournant à leur sauce les films dans leur appartement avec leur petite caméra et les moyens du bord. Dès les premiers plans du film, on sent bien pourtant que quelque chose ne va pas dans le clan Angulo, que ces enfants sont un brin nerds, que le père est un peu trop absent et la mère un peu trop névrosée. On apprend alors la terrible vérité : ces six mômes ont passé leur vie enfermés dans leur appartement, avec interdiction de franchir la porte d'entrée ; en cause : la vision de papa de la société urbaine moderne, un ramassis de drogués et de meurtriers à l'entendre. Pour protéger ses enfants (et violenter sa femme à loisir également), il a érigé cette règle : on ne sort par de la maison. Tout, depuis l'éducation jusqu'à la socialisation, a donc été fait sur place par des mômes qui n'ont vu du monde que ce que la fenêtre leur a laissé voir, et ce que les films leur ont appris. Autant dire qu'au niveau social, ils ne sont pas très calés. Mais aujourd'hui, le plus âgé d'entre eux a décidé de franchir cette porte, et de remettre en question tout l'édifice familial. Va-t-il se faire dévorer par les junkies du quartier ? Ou enfin devenir un jeune homme normal, avec un appartement, une amoureuse, avec la mer et le cinéma ? Et le père parviendra-t-il à reconnaître qu'il est un sale con et qu'il a privé ses fils d'enfance ?

On est sidéré par ces images amateures (les mômes filment largement leur vie), mélange de reconstitution de Reservoir Dogs (faite avec un sérieux presque inquiétant) et de vie ordinaire dans les quelques mètres-carré de l'appartement : papa qui rentre bourré et qui frappe maman, des enfants qui se permettent de petits jeux sans conséquence dans le couloir central, l'organisation entre eux de jeux ou de discussions, ou ces longues journées passées à la fenêtre à regarder ce monde extérieur si effrayant. La vie des Angulo s'est organisé dans ce secret, et leur seule référence est constituée des centaines de DVD qu'ils compulsent jusqu'à l'obsession. Qu'est-ce qui resterait de nous si nous avions construit notre vision du monde sur les films de Lynch, Tarantino, Craven ou Coppola ? Sûrement ces petits êtres drôles et intelligents, mais un peu effrayants aussi, complètement déconnectés de la réalité. Quand enfin ils se mettent à sortir, leur comportement continue à être asocial (ils sortent avec les costards et les lunettes de soleil des mecs de Reservoir Dogs, il faut dire), on pense à La Dispute de Marivaux dans cette candeur vis-à-vis du monde, dans cette virginité ; mais peu à peu on voit concrètement la vie "normale" faire surface, advenir malgré tout. The Wolfpack est loin d'être parfait, il est souvent très confus, des pans entiers de cette histoire extravagante sont occultés (faute d'images ?), on est perdu dans les temporalités, en gros, le film aurait gagné à être monté autrement, ou écrit en tout cas par un auteur plus aguerri. Mais malgré tout, on reste abasourdi par cette famille, en se disant que les villes cachent encore des secrets incroyables derrières leurs murs.

The Wolfpack de Crystal Moselle - 2015

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