Premier film de fiction pour Mileva et Kazakova, deux militantes bulgares visiblement déjà assez engagées dans leurs documentaires. Même de façon assez feutrée, se dissimulant sous les symboles et les allégories, Cat in the Wall possède cette urgence politique : on n'est pas dans la Loach-attitude, non, mais ce petit film énergique et touchant parvient mine de rien à dire quelque chose de l'état du Royaume-Uni à l'heure du Brexit, à parler du rapport entre communautés dans ce pays métissé, et à dresser le portrait crédible d'un petit groupe de gens en 2020. C'est déjà pas si mal. Tout s'articule autour du personnage d'une mère célibataire d'origine bulgare un peu débordée et nerveuse : fils turbulent, frère se heurtant au chômage malgré ses diplômes, voisins insultants, factures s'accumulant, et même un type pissant dans l'ascenseur, rien ne va plus dans la vie de cette femme en manque de joie. A coups de débrouille et de renoncements, on arrive bien à joindre les deux bouts, mais la crise est proche. Elle adviendra sous la forme d'un chat abandonné recueilli par la famille : l'animal va devenir le déclencheur des tensions de la communauté vivant dans cet immeuble, chacun renvoyé à sa propre misère sociale et morale. Dépression latente, engueulades décoiffantes, incompréhensions, le film double son volume sonore pour peindre le portrait amer de ces gens oubliés, qui ont du mal à s'inclure dans une société mondialisée et repliée sur elle-même.

Ce n'est pas sidérant au niveau de la réalisation, et il y a même assez peu de cinéma dans ce film nerveux et concentré sur son discours. Dans une image assez moche (ces fameuses caméras portables qui tuent peu à peu le cinéma), dans une mise en scène convenue (c'est à peine si les dames se décident à filmer à travers une porte ou depuis un trou dans le mur pour prouver qu'elles sont là), le film déroule sa trame sans style formel, et on regrette une fois de plus qu'un premier film soit aussi dénué d'invention. Mais la fadeur de ce côté-là est compensé par une façon très énergique de filmer ces gens, dans une empathie profonde et avec un regard très juste. On aime immédiatement cette femme, très bien campée par Irina Atanasova, et on compatit à la somme de malheurs qui s'accumulent sur elle et sa famille boiteuse ; tout comme on aime ce frère assommé sous ses efforts pour sortir la tête de l'eau, personnage qui amène un peu de légèreté au film qui sans lui s'enfermerait dans le drame social pur. Les situations et les dialogues se montrent souvent très fins pour décrire le racisme latent entre les immigrés et les Londoniens, et même entre les différents exilés, qui, pauvreté aidant, finissent par s'accuser les uns les autres de piquer les allocs ; le tout sur fond de repli sur soi d'un pays qui se gentrifie, de plus en plus tourmenté par ses décisions politiques. Ce pauvre chat coincé dans un mur est à l'image de tous ces prolos invisibles de l'Angleterre : ni tout à fait chez eux dans un pays qui les refusent, ni tout à fait ailleurs tant ils aiment habiter ici. Cela prend la forme d'un huis-clos (on reste dans l'immeuble, symbole du pays tout entier) plein de personnages crédibles et attachants Tour à tour virulent et touchant, amusant et dérangeant, voilà un film humain qui dit tout haut ce que toute l'Europe pense tout bas. Réussi.

Cat in the Wall (Kotka b cte hata) de Mina Mileva & Vesela Kazakova - 2019

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