Marcel Duchamp, sa vie, son œuvre, à travers trois volets d'environ une heure. Outre le fait qu'Henri-Pierre Roché est cité trois fois (dont une fois en ouverture, car notre homme avait le sens de la formule : "Sa plus belle œuvre est l'emploi de son temps"), voilà un doc qui, en dehors du fait de retracer les allers-retours de Duchamp tout au long de sa vie entre la France et l'Amérique, ses amitiés, ses amours (surtout tardives... "une femme, c'est commode, finissait-il par avouer vers la fin de sa vie, je vous le recommande" ; moins fan des enfants, il fut - il rencontra ainsi sa seule fille quand elle avait 50 ans (et encore, elle avait du bol, son mari jouait aux échecs, la grande passion de Duchamp)), un doc, donc, disais-je, qui présente avec un grand soin pratiquement toutes les œuvres de Duchamp, de ses exercices de style à la peinture (qu'il abandonna rapidement) à ses œuvres majeures, dont le fameux verre de La jeune mariée mise à nue par ses célibataires, même. On découvre avec plaisir sa façon de ne jamais vouloir se répéter (un leitmotiv, en quelque sorte, sans mauvais jeu de mot), d'explorer différents styles picturaux avec à chaque fois un angle de vue propre, et ce juste avant de signer son chef-d'œuvre, cette célèbre et scandaleuse toile Nu descendant un escalier (où il est plus facile de discerner l'escalier que le nu... ce qui participa en partie au succès et au scandale, pour la petite histoire...). On se réjouit tout autant de découvrir les multiples ready-made (une petite faiblesse pour cette roue de vélo suspendue qu'il construisit pour une simple raison : il n'avait pas de cheminée - si, si, il y a un lien - maintenant vous êtes curieux ou vous ne l'êtes pas) et les extraordinaires mallettes et valises (dont il parlait souvent dans sa correspondance avec Roché) qui contiennent l'essentiel de ses œuvres en miniature (je ne suis pas matérialiste mais si jamais il y en a une qui traîne chez vous dans un coin, je suis preneur). Les analyses de ces diverses réalisations ne sont jamais prises de tête, comme pour mieux se conformer à l'esprit même de Duchamp qui prenait tout cela souvent un peu à la légère (l'art est à ses yeux une certaine forme d'escroquerie... mais point les artistes - je vois ce qu'il veut dire). Il avait l'air de prendre les échecs (le jeu, hein) beaucoup plus au sérieux même s'il ne semble pas franchement avoir marqué de son sceau l'histoire de ce sympathique jeu de salon (je suis preneur également du jeu d'échec qu'il a dessiné, en particulier les chevaux - oui, je fus aussi un grand champion d'échecs au siècle dernier, sans avoir laissé non plus beaucoup de traces...). Pour le reste, il faut bien reconnaître que, comme Roché, il semblait vivre sa vie en dilettante (en dandy diront certains, mais je trouve que dilettante lui va mieux) sans forcément prendre tout cela (en gros, la vie) au sérieux (bien aimé la partie "transgenre avant l'heure" lorsqu'il créa ce personnage de Rrose Sélavy, un double féminin qui m'avait totalement échappé jusque-là)... Il avait d'ailleurs un petit sourire en coin du meilleur effet. Le document, notamment la troisième partie un peu plan-plan, retrace autant que faire ce peu ses multiples accointances avec les artistes de son temps : il s’en dégage toujours ce sentiment d'un type qui fut un véritable électron libre dans l'histoire de l'art, une histoire de l'art, quoiqu'on en pense, qu'il a marqué presque malgré lui... Ne cherchant jamais à se laisser enfermer dans un carcan (tel que le groupe des surréalistes), notre homme a mené son petit bonhomme de chemin en prenant soin, sur le tard, de rassembler l'essentiel de son œuvre dans un endroit, comme pour pouvoir empêcher toute spéculation. L'histoire d'un homme simple, génial, tranquille et suprêmement créatif, auquel ce doc rend joliment hommage en se penchant notamment sans intellectualisme forcené par-dessus les épaules de ses grandes œuvres. Duchamp ? une mémoire à cultiver.

Marcel Duchamp, Iconoclaste et Inoxydable (2009) de Fabrice Maze

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