A la recherche du documentaire ultime sur Cassavates ? Il est là tout chaud sorti de la forge, le doc d'une durée roborative d'environ 200 minutes, convoquant aussi bien sa compagne et actrice-muse Gena que ses acteurs (Cassel, Gazzara, Voigt, Falk...) et laissant la parole à des spécialistes, réalisateurs, journalistes (Insdorf, Bogdanovitch, Sayles, Penn...) qui ont tous quelque chose d'intéressant à dire sur l'homme, le cinéaste, le. C'est la seconde fois que je vois la chose, en me disant à chaque fois "ne serait-ce pas mieux de revoir un film du sieur ?", et c'est la seconde fois que je suis charmé par ce document exceptionnel de richesse et monté à la perfection, tant on retrouve aussi tout ce qui faisait la grandeur, le charme, le talent, l'humanisme de la bête de mise en scène Cassavetes. Après une petite mise en bouche où, sur les mots de Cassavates, on revient sur chacune de ses oeuvres (la seule commande qui l'ait à jamais vacciné du système hollywoodien (Un Enfant attend) comme les dix autres chef-d'oeuvre), c'est parti pour trois heures d'interviews, d'extraits de films et de commentaires (un acteur lisant en voix-off les écrits de Cassavetes). On a beau connaître les films par coeur, on reste passionné par ces multiples commentaires (unanimement positifs) effectués par toutes les personnes qui ont travaillé un jour avec lui. Il est question, forcément, de son humanisme, de son amour pour les gens, de son sens de l'empathie, mais aussi et surtout de ses talents en tant que directeur d'acteurs. Même quand ils furent malmenés, même quand ils furent écartés quelques temps le temps de rentrer dans le mood, ils ont tous conscience que sa façon unique de travailler, d'expliquer malicieusement ce qu'il attendait d'eux, permettait toujours d'obtenir le meilleur d'eux-mêmes et de correspondre à ses attentes : être toujours sur la corde raide, sur la corde sensible, donner le meilleur, passer par toutes les émotions, être naturel et vrai... Toutes les petites anecdotes sur les différents tournages donnent une image complète de cet homme dévoué au cinéma, à sa famille cinématographique, à sa famille tout court, les acteurs devenant rapidement des proches, vivant même, au cours de ces longs tournages, dans la maison du couple de John et Gena.

On aime les éclats de rire de Falk toujours un peu dubitatif au départ sur les intentions du cinéaste, les déclarations d'amour de Cassel qui considérait le réalisateur comme un frère, les confidences de Gazzara que Cassavetes sut toujours diriger à la perfection ou encore les déclaration d'amour de Voigt qui trouva en lui un véritable génie, artiste et homme confondus... Et puis, bien sûr, il y a la Gena qui revient longuement sur leur connivence et leur travail ensemble : on est gâté puisqu'on revient notamment en long et en travers sur Une Femme sous Influence qui reste et qui demeure l'un de mes films de prédilection... Il est question aussi bien du caractère de Mabel, que de ses crises, que de son amour pour les gens, que des improvisations constantes de Rowlands, bref, on fait un peu le tour de ce personnage multi-complexe qui n'en finira jamais, malgré tout, de livrer tous ses secrets... Il est aussi bien sûr question de l'indépendance de Cassavetes en lutte permanente contre le système, de sa façon unique de travailler au long cours et d'obtenir de ses acteurs ce jeu où leur sensibilité est en permanence à fleur de peau, de ses talents de caméraman, de ses talents d'écrivain, de cette joie communicative, de cette force permanente pour se lancer dans les projets les plus fous (la création notamment de trois pièces de théatre en même temps : la construction du site, la mise en scène en parallèle des trois pièces avec ses acteurs fétiches, tout cela pour des représentations sur un temps très limité - il n'est pas question ici, de toute façon, d'argent, mais de réaliser simplement ce qu'il avait envie de faire). C'est vrai que souvent on se dit que le type fut, littéralement, un surhomme, un homme orchestre, un artiste total, capable qu'il fut d'emmener avec lui toute une tribu d'acteurs - sans que cela leur apporte un quelconque gain financier ou rejaillisse sur leur carrière ; mais travailler avec Cassavetes, on le sait, on le sent, cela n'a pas de prix.

On revient également, bien sûr, sur les liens de complicité entre les acteurs qu'il sut construire de film en film, sur les grandes thématiques de ses films (de l'ambiguité des êtres pour mieux les comprendre ; de la faiblesse terrible et de la force absolue de l'amour au sein des couples ; des dangers de la société contemporaine (money, money, pouvoir...)...) ou encore de la fin toujours ouverte de ses oeuvres. Il est plaisant de voir, tel que le dit Bogdanovitch d'ailleurs, que la vision des films de Cassavetes peut se multiplier au cours des ans, tant l'on découvre à chaque fois un nouvel angle d'analyse, tant la maturité aussi apporte parfois une meilleure compréhension de la profondeur de ses oeuvres. C'est un déluge de compliments mais il est difficile de ne pas à chaque fois opiner de la tête tant l'homme-cinéaste sut créer à la fois des oeuvres uniques et tant ce cinéaste, maintes fois copiés depuis, ne fut jamais égalé - car inégalable. Bref, pour tout fan du John, un documentaire avec tous les éléments (proches, amis, acteurs, critiques, réalisateurs...) de sa grande famille absolument incontournable.

Gloire à Cassa

A constant Forge (2000) de Charles Kiselyak

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