Je sais bien que j'ai déclaré péremptoirement que l'avenir du cinéma d'horreur serait abstrait ou ne serait pas. Mais Enys Men m'a pourtant situé à l'exact endroit de ma levée de sourcils dubitatif. Je n'ai rien compris au film ; mais je pense que c'était la volonté (tout à fait noble) de Jenkin que de nous perdre, nous questionner, nous secouer le bourrichon plutôt que de s'accrocher à une trame trop logique. Tout de sensorialité, donc, d'impressions, de finesse, ce film ardu ne se laisse pas attraper comme ça. Le risque : trop forcer sur le mystère, nous perdre en route. C'est ce qu'il a fait avec moi, je l'avoue, et même si je ne peux que reconnaitre le talent et l'audace, je dois aussi dire qu'il n'est pas arrivé à son but. Trop long, peut-être, mal dosé dans sa (non-)progression, le film est pénible. Esthétiquement d'abord : dans un souci de brouiller les pistes temporelles, Jenkin utilise un grain d’image très 70's, et mélange aussi bien des motifs ancestraux que modernes dans un maelström d'anachronismes.

Nous sommes sur une de ces îles qui ne semblent pas avoir bougé depuis des millénaires, ce qu'attestent ces grands rochers et dolmens qui la jonchent. Une femme a été engagée pour surveiller l'évolution d'une variété de fleurs, et se retrouve complètement isolée dans le lieu, distraite uniquement par des rituels qu'elle accomplit mollement (écrire "Rien à signaler" sur son carnet, jeter une pierre dans une crevasse, écouter vaguement la radio). Isolée ? Mmm, pas tant que ça, car périodiquement apparaissent dans le cadre des présences humaines : enfants en costumes traditionnels, marin dont on ne sait exactement s'il est vivant ou mort, appels à l'aide captés sur la radio... La santé mentale de la dame vrille peu à peu, brouillant les pistes de la réalité, la faisant bientôt pénétrer dans un monde où les temporalités s'accumulent en couches, dans un lent cauchemar constitué de tout petits détails (rien ne fait vraiment peur, tout est étrangement inquiétant), réminiscences de son passé et de celui de l'île entremêlés.

C'est exigent, sûrement un peu trop. Le procédé mis en place, intéressant, finit par perdre de sa puissance en étant répété ainsi à l'infini pendant 90 minutes. On assiste à l’éternelle répétition des mêmes plans, et la construction de la chose manque un peu de cohésion. C'est le but, me direz-vous, mais point trop n'en faut. Restent une bande-son impressionnante, surtout que le film est entièrement privé de dialogues, un sens graphique indéniable (cet imperméable rouge, cette mer bleue, ces collines vertes...) et un montage lui aussi d'une belle maîtrise. Pour le reste, on attendra le prochain Jenkin pour avoir un jugement. Tel quel, son film est si étrange qu'il peut être brillant parfois, mais un peu trop pointu pour réellement passionner.. Un peu comme si on nous plongeait la tête dans un Lynch, mais sans l'organisation mentale du type ; ou dans un cauchemar à la Chabrol, mais sans le côté vintage. Un peu entre deux chaises, quoi. Mais prometteur, prometteur...

Enys Men de Mark Jenkin - 2024

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