Hamé et Ekoué viennent de la rue, man, et entendent bien que leur premier film résonne de la clameur du tiéquar et des p'tits trafics de dém, là t'as vu. Ils plantent donc leur caméra en plein coeur de Pigalle, leur territoire familier, et les voilà filmant à la volée un petit scénario de film noir à la Scorsese, y a pas de petites ambitions. Alors c'est vrai que les gusses se montrent plutôt très habiles pour restituer l'ambiance du quartier. Leur film est très réussi pour ce qui est du documentaire. Peut-être parce que, très loin des cartes postales touristiques et des sentiers tout tracés, leur Pigalle ressemble à un territoire étrange, magnifiquement montré en particulier la nuit, composé de minuscules bars cradasses, de vendeurs de DVD à la sauvette et de chiens boiteux d'une part, de magasins de baskets branchouilles, de boîtes de nuit bling-bling et d'échanges de liasses de billets d'autre part. Un condensé en quelque sorte de notre bonne vieille société française égalitaire, quoi. La caméra des réalisateurs est à la hauteur de ce joyeux bordel, ne cachant rien de la misère sociale (les scènes de jour sont particulièrement âpres et banales) et des grandeurs (la faune qui le peuple est colorée, éclectique) de Pigalle. On sent d'ailleurs nos deux gars assez nostalgiques par avance de la disparition d'un certain état d'esprit du quartier, le titre du film l'indique, mais aussi ce regard assez amer sur le "remplacement" de ces Parisiens à l'ancienne par la mondialisation galopante. Thème éternel du rap, dont sont issus Hamé et Ekoué : wesh, c'est pas grand-chose, t'as vu, on vit sur un tas d'fumier, mais c'est notre tas de fumier, man, popo pooo. Ils font même jouer pour l'occasion leurs potes, faune bigarrée qu'on sent souvent authentiquement du quartier, qui n'ont peut-être pas des années de cours Florent derrière eux mais qui sentent le macadam, véritable cachet de vérité sur ce film qui en fait (de la vérité) son étendard. Même les deux "stars" de service (Reda Kateb et Slimane Dazi) sont au diapason, et sont hyper crédibles l'un en petit merdeux aux ambitions de play-boy, l'autre en mec rangé des voitures et dépassé. Bref, au niveau de l'authenticité de la chose, le film est parfaitement réussi, et s'il s'agissait de rendre justice au Paris des quartiers populaires, Hamé et Ekoué possèdent un vrai regard et sont les hommes de la situation.

Malheureusement, l'ambition des garçons ne s'arrête pas là. Il veulent aussi trousser un thriller grand crin, une histoire même modeste de frères que la vie a séparés : l'un a fait de la taule, payant d'ailleurs pour les deux, et à sa sortie entend bien entrer dans l'affaire du frérot (un bar miteux), et transformer la merde en or et le bistrot en lieu branché, quitte à flirter avec les escrocs peu recommandables ; l'autre ne rêve que de tranquillité et de quitter le quartier avec sa belle, mettant le plus d'espace possible entre lui et cette mouche du coche cocaïnée de petit frère. Ce film noir est beaucoup moins convaincant que le premier film : incapables de choisir un angle correct, ou de trousser ne serait-ce qu'un début de mise en scène sur les actes pitoyables de ces petits êtres, les réalisateurs nous en désintéressent, errant à la lisère d'un discours rédempteur sans jamais y aller complètement, frôlant le film de genre sans jamais oser y mettre carrément les pieds. On aime bien ces deux acteurs, et surtout voir Kateb jouer subtilement avec sa fragilité et sa grande gueule, et on aurait aimé que leur talent soit au service d'une vraie histoire. On notera quand même une indéniable élégance dans la direction d'acteurs et dans cette façon presque en retrait de montrer les choses, sans la ramener menton en avant : le film est toujours simple, n'essaye pas de péter plus haut, et c'est à leur honneur. Ce qu'on en retiendra ne sera pourtant pas cette histoire un peu trop sagement filmée ; ce sera la conviction que ces habitants de Pigalle, même blacks, ou pauvres, ou voyous, ou drogués, ou les quatre à la fois, sont les vrais Parisiens d'aujourd'hui. Respects, men.

Les derniers Parisiens de Hamé & Ekoué - 2017

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