Première femme réalisatrice, première représentation du Christ au cinéma, ce film a tout pour être historique. Et il l'est, diable, tant Alice Guy se montre compétente dans l'exercice. En 25 tableaux édifiants, elle nous narre donc la naissance, l'oeuvre et le triste trépas de notre Seigneur à tous, dans un lyrisme total : le Christ lève les bras vers le ciel et y va de sa sainteté, empreint de toute évidence de la grâce de Dieu, mais rien n'y fait, il va falloir que ces salopards de Romains le crucifient en bonne et due forme. Côté scénario, eh bien pas grand chose de nouveau, hein, on connaît la trame générale, même si on remarque quand même que les miracles de Jésus intéressent moins la belle que sa mort. Difficile, c'est vrai, d'illustrer la multiplication des pains ou l'épisode du Temple en plans fixes et généraux, comme cela semble être la règle dans le film. Toute la partie "martyr et spoliation" occupe bien un tiers du métrage, dans lequel elle peut s'adonner à ce qui la passionne : des grands tableaux emplis de figurants, disposés savamment dans ses cadres larges absolument superbes. Elle se plante parfois, c'est vrai, notamment dans la scène du procès avec Barabas, vraiment illisible ; mais la plupart de ces scènes frappent par leur aspect plastique. Alice Guy sait exactement placer ses nombreux figurants dans le cadre pour doper ses plans, retrouvant presque parfois l'esthétique des tableaux de la Renaissance. Admirons par exemple cette splendide composition sur la descente de croix, digne d'un Michel-Ange tant chaque acteur semble avoir été minutieusement dirigé pour exprimer le lyrisme de la scène. Mis à part quelques parties un peu plus ternes, parce que moins directement visuelles, la bonne dame trouve toujours le bon angle pour montrer son sujet.

Côté technique, le fim est plus compliqué que ce qu'il affiche a priori. On pourrait croire que le cadre fixe, le plan séquence et le cadrage en plan général sont la loi d'airain de cette époque de pionnier. Mais en y regardant de plus près, on aperçoit que Alice Guy utilise le plan rapproché (pour la scène de Sainte Véronique et du suaire), la surimpression (pour les trucages de la Cène et de la résurrection de Djizeuss), le mouvement de caméra (un très beau panoramique lors de la montée du Golgotha) ou le montage (deux plans lors de la résurrection, toute une grammaire inventée sous nos yeux). Franchement, tout en obéissant au cahier des charges de Gaumont, sans faire la maline outre mesure, Guy tente des choses, et réalise un film spectaculaire, pas toujours réussi mais en tout cas toujours audacieux. Et puis c'est toujours une merveille de voir un art s'épanouir sous nos yeux désabusés : La Vie du Christ est un machin des origines, tout est à inventer, et tout s'invente presque en direct. Si on peut choisir sa réincarnation, je veux revenir en assistant d'Alice Guy.

La Vie du Christ d'Alice Guy - 1906

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