Eric Guirado voudrait bien être Claude Chabrol, jongler avec l'acidité et la violence en pointant le fossé social, et en renvoyant dos à dos bourgeoisie et prolétariat ; il voudrait bien réaliser sa Cérémonie à lui, en plus contemporain, en plus mode aussi (de nos jours, il faut adapter des faits divers récents pour en être). Malheureusement, Guirado passe nettement à côté de son modèle : il nous pond une pochade caricaturale sur la lutte des classes, qui manque sévèrement et de trouble et d'humour et même d'intelligence. Pour lui, c'est assez simple : chacun doit rester dans son milieu, sinon l'étincelle qui mettra le feu aux poudres n'est pas loin. Le film est en effet "douloureusement" politique, alors qu'il aurait dû rester dans une certaine objectivité, montrer sans démontrer. Il ne mange pas de ce pain-là : il importe de faire de l'affaire Flactif, point de départ du scénario, le symbole de l'incompréhension entre les strates sociales, quitte à tracer à très gros traits des ombres de personnages.

D'un côté, les Groseille, couple de quasi-débiles du Nord, qui écoutent de la R'nB, mangent des raviolis devant la télé, adorent le tuning, ont une voiture pourrie et parlent mal : lui (Rénier, pas dirigé) est gros, elle (Depardieu, en sous-régime) vénale, normal, c'est des prolos. De l'autre, Les Le Quesnoy, bourgeois parvenus, légèrement magouilleurs mais au goût sûr, multi-propriétaires et condescendants en diable : lui (Lucien Jean-Baptiste, seul acteur vraiment convaincant de la chose) donne des tapes amicales dans le dos des inférieurs, elle (Lamy, bien, mais qui ne le serait pas là-dedans ?) sourit Colgate en trouvant la solution à tous les problèmes, normal c'est des nantis. Quand les seconds louent un chalet aux premiers, ça se passe mal, l'étalage de luxe calme et volupté allant bientôt heurter les galères financières des Groseille... jusqu'à la tragédie, mesdames-messieurs. Guirado prend soin de faire monter très lentement la pression : on sait que la finalité de la chose sera un massacre en due forme, mais lui pense qu'il faut montrer sous toutes les coutures le pourquoi dudit massacre : un seul coupable, j'ai nommé la lutte des classes. Et c'est vrai que quand on voit la crétinerie du personnage de Rénier, on se dit que ces pauvres, quand même, ils manquent d'éducation ; surtout quand on voit comme les riches les traitent de haut. Voilà, on a fait le tour du fond du film. La finesse est laissée aux vestiaires, au profit d'une pantalonnade vraiment pas finaude, d'une psychologie de supermarché (rayon du bas) et de situations impossibles. Chabrol se serait roulé avec délices dans la caricature, l'assumant complètement ; Guirado n'a pas l'air de la sentir, et plonge dans le schématisme.

Il y a pourtant parfois de bonnes idées dans la mise en scène. Bien aimé, par exemple, cette curieuse utilisation des flous (le bord de l'écran, voire même trois bons quarts, floutés) pour montrer l'obsession de Rénier, les œillères qu'il se met lui-même, bien aimé ces séquences oniriques (le défilé des skieurs devant une fenêtre, l'hébétude juste après les meurtres). Peut-être que Guirado, quand il aura compris que le monde n'est pas seulement divisé entre bons et méchants, entre riches et pas riches, et qu'il y a peut-être des subtilités à trouver là-dedans, saura réaliser de bons films. Pour l'instant, fuyons.

Possessions d'Eric Guirado - 2012

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