Etant totalement sous le charme de la connerie des croisières (il faut le voir pour le croire - mille personnes croulantes débarquant sur une île malgache perdue, ça vaut son pesant d'humanité massivement abattue) et ne pouvant rien laisser échapper sur Jean-Luc Godard (en espérant qu'il ne me pète pas dans les doigts quatre jours plus tard comme Agnès Varda), me voici devant ce que l'on peut décrire comme un "tournage sur le tournage" de Socialisme... Grivas tente au départ de la jouer "images chocs" en annonçant (et en montrant) des images du naufrage du Costa Concordia mais ce n'est que pour appâter le requin. L'essentiel ici sera constitué de rushs sur le film de Godard. Est-ce incontournable ? Franchement non, il faut être totalement accroc au père Jean-Luc pour apprécier ces petites annotations discrètes sur un texte (le rythme, l’intonation, les silences…), sur un placement, un port de tête, et pour l'observer, méga cigare en bouche, faire le clap - il n'y a pas de petites économies. Voici donc notre Godard sur son bateau dirigeant son petit monde avec une précision d'orfèvres ; en "fil rouge", une scène tournée quatorze fois avec un vieux qui foire son texte à l'envi ; Godard ne s'énerve point, laissant le temps au gars de refaire en boucle ses mêmes boulettes... Mouais. Plus surprenant est sans doute le fait de voir Godard, cent-vingt-huit ans intellectuellement, mimer une cascade (une descente d'escalier en tournant !!!) pour sa jeune actrice. Il se donne, le Jean-Luc, pour avoir sous ses yeux exactement ce qu'il a dans son âme. Bien aimé aussi quand il peste contre un môme lorsque son cri enfantin idiot nique un plan ("Dégage, horrible gamin" - Godard la tendresse...). Au-delà de ça, on peut prendre le temps de réapprécier deux-trois dialogues de ce film littéralement "d'avant-garde", l'histoire d'une Europe qui part en vrille... avant de couler. L'intérieur du bateau avec ses couleurs flashy est toujours aussi ignoble, les vieux qui se baladent dans cette ville sur mer donnent toujours l'impression d'être des zombies auxquels on accorde une dernière traversée avant de rejoindre l'autre rive et l'on se dit que le Jean-Luc a dû ricaner plus souvent qu'à son tour devant cette population consommatrice vieillissante qui se paye une dernière virée avant de sombrer (si partir c'est mourir un peu, partir en croisière c'est mourir avant l'heure). Bon, non pas d’un très grand intérêt pour approcher au plus près « Godard créateur » mais une vision par le petit bout de la lorgnette d'un cinéaste sur set mouvant dirigeant paisiblement ses ouailles. Pour les afficionados only... (Shang - 01/04/19)

Un petit docu-essai taquin, ni véritablement making of ni réellement manifeste, mais précieux en cela qu'il permet de voir notre compère JLG au travail, ce qui n'était pas arrivé depuis bien longtemps. On imaginait le sage enfermé dans son univers austère et savant, ne communiquant plus que par borborygmes abscons avec ses acteurs traités comme du bétail ; et on est charmé de découvrir un cinéaste attentionné, doux, patient, parfois même joueur, très loin de la star capricieuse des années 60, du sadique de la période maoïste ou du cynique des années 80. Godard fait son taff, l'oeil aux aguets pour capter les choses qui passent sous son regard, et se montre finalement complètement intégré à ce petit monde parallèle absolument dingue qu'est une croisière de luxe. Il faut le voir sourire comme un enfant devant un plan qu'il vient de tourner, ou balancer son méchant "Dégage, horrible gamin" frondeur, ou ordonner impérieusement une intonation, ou refaire inlassablement la même scène (marrant, oui, cette séquence qui revient sans cesse du petit vieux qui n'arrive pas à retenir son texte) pour se rendre compte que JLG, loin de lâcher la partie, se comporte encore en vrai cinéaste, malgré son âge avancé. Film Catastrophe filme amoureusement un film en train de se faire, et privilégie les moments intimistes où on voit le maître réfléchir ou méditer sur un cadre, regarder Patti Smith (très jolie séquence détachée de tout) ou dénicher comme par hasard une de ses trouvailles absconces. Que le film se veuille aussi une réflexion sur le sort du Concordia comparé au sujet du film (la fin de la conception de l'Europe symbolisée par le naufrage du bateau transportant les bourgeois européens) est plus anecdotique, à mon avis. Et Grivas le sent bien, qui consacre les 9/10èmes de son film au tournage de Godard avant de vriller l'image (dans un effet hyper godardien lui-même) et de balancer quelques images du naufrage. Pas très pertinent, quoi, au final, cette comparaison... Mais elle aura au moins permis ce film amusant et intéressant sur notre maître, dont on aperçoit encore et toujours l'oeil pétillant au détour de chaque plan. (Gols - 03/03/20)

Film Catastrophe (2018) de Paul Grivas

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