Et Francis Girod ? On en parle, de Francis Girod ? Devant les tombereaux de courriers menaçants de nos lecteurs criant leur indignation de ne pas voir Girod figurer dans la liste des réalisateurs chroniqués sur Shangols, j'ai bien eu l'honneur de revoir L'Enfance de l'Art, film qui entérina à l'époque ma volonté de devenir comédien, parce qu'on pouvait se taper Clotilde de Bayser c'est vrai, mais pas que. Je voulais retrouver dans ce film les élans du (déjà médiocre) Entrée des Artistes, et la magie de ce qui se passe en cours de théâtre m'attirait sans que j'en puisse mais. Résultat : c'est terrorisé qu'on quitte la vision de la chose. Voilà une vision de l'art dramatique qui sent bon le ringardisme crasse, ou je n'ai jamais anoné Andromaque. Pour Girod, la seule chose qui doit vous motiver pour rentrer au Conservatoire, c'est que vous pourrez y baiser sans scrupule. La petite bande réunie par ses soins pour tenter de figurer des comédiens débutants semble gagnée par une soif de sexe inversement proportionnelle à leur passion pour l'art dramatique, ici sacrifié à l'autel (ou à l'hôtel) des cuisses frémissantes de ces dames et aux atermoiements amoureux de ces messieurs. On ne verra que quelques scènes, glanées ici ou là, de répétition ou de travail sur scène : une vague improvisation au masque, une bête interprétation de Racine, tendant à prouver que les jeunes apprentis sont tous des crétins ; dans les deux cas, ces séquences ne sont que des prétextes pour parler du seul sujet qui semble intéresser Girod : qui va coucher avec qui ? Les cours de théâtre se transforment en foire d'empoigne où on tente de se rendre jaloux, où on profite du texte pour exprimer sa passion, où les scènes de baiser dévient en harcèlement. Un tel mépris pour le théâtre force le respect, et le film, qui s'ouvre sur le génial Soulier de Satin de Vitez, pratique une forme de "faux-cuterie" consistant à faire semblant de déclarer sa flamme au théâtre et aux maladresses de ces élèves pour mieux montrer que tous ces petits jeunes ne pensent qu'à forniquer.

Quand l'une d'elles (Clotilde, donc) est engagée par un grand metteur en scène pour tenir le rôle principal d'un film, on grimace. Et bien sûr Girod s'engouffre dans la brèche : Luc Ferrand (oui, le même nom que Truffaut dans La Nuit américaine, ça n'est pas un hasard) séduit en deux-deux la jeune oie, même le cinéma est une gabegie. On doute d'ailleurs un peu, au passage, du réel talent de ce Ferrand (interprété par un Dussollier un peu hébété) : quand on voit le tournage, quand on entend les dialogues de son nouveau chef-d’œuvre, on se dit qu'on est plus proche de David Hamilton que de Truffaut, pourtant la référence autant pour ses films désuets que pour ses goûts pour la chair fraîche. Bref. Tout ça se terminera très mal, par un acte romantique hyper beau, bien sûr, puisqu'il est bien connu que les comédiens sont des êtres fragiles, plus sensibles que les autres, et portant de lourds problèmes d'ego (Chéreau, reviens, ils sont devenus fous). Mais avant ça, il aura fallu se taper d'interminables dialogues crétins portés par des acteurs en-dessous de tout, des scènes artificielles et jamais crédibles, une vision cynique et très masculine des relations entre les gens, et un regard hyper petit sur le théâtre, véritable prétexte vite oublié de ce film anti-jeunes, anti-art, anti-cinéma, anti-Truffaut mais très fier de lui. Une telle méconnaissance du théâtre tient de la prouesse : on en apprend dix fois plus sur la beauté des cours de Conservatoire en regardant Entrée des Artistes, finalement...

L'Enfance de l'Art de Francis Girod - 1988

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