Voilà un des films d'horreur les plus stimulants de ces dernières années, même s'il est en grande partie raté. Voyez, le genre de film dont on se dit que, confiée à un bon réalisateur oublieux du commerce, l'idée géniale de départ aurait pu conduire à un chef-d'oeuvre conceptuel. Gabriadze ne voit pas les possibilités infinies de son scénario, se contente d'un film pour ados de plus, et on voit comme il est dommage que les scénarios d'horreur soient confiés à des jeunes réalisateurs incultes condamnés au rendement ; et pourtant on ressort du film galvanisé, avec l'envie de faire un remake sur le champ, qui prendrait en compte l'aspect formel brillant de ce film.

Le scénario est sans intérêt, une vague histoire de lycéenne suicidée qui revient 10 ans après se venger de ceux qui l'ont poussée au suicide. La grande idée vient du fait qu'elle le fait via les réseaux sociaux (Skype, Facebook... et même Chatroulette) ; le film n'est qu'un plan fixe en caméra subjective (on est à la place de la meilleure amie de la revenante), à l'intérieur duquel s'ouvrent et se ferment des cadres à l'infini. Car la "narratrice" (c'est-à-dire nous) possède à la perfection l'art de la recherche sur internet et de la communication, et ouvre fenêtre sur fenêtre pour répondre à une question, faire une recherche, communiquer avec un de ses amis en secret des autres, appeler à l'aide ou simplement parler avec un des 6 autres protagonistes, qui sont autant de cadres de fiction enfermés dans le cadre principal. Le plan principal montre en effet 6 fenêtres ouvertes en split-screen depalmesque, 6 décors en plans fixes d'où peut à chaque instant émerger la mort. Il y a quelque chose de la fascination hitchcockienne dans ce dispositif : notre regard, n'étant pas dirigé dans cette jungle de webcams, de textes, de documents ouverts les uns sur les autres, fait sa propre mise en scène, scrute inlassablement ces petites fenêtres pour ne pas perdre de vue l'évènement qui va surgir. Si bien qu'on a l'impression d'un Rear Window 2.0 : à la place de la façade de fenêtres de James Stewart, on a des fenêtres les unes sur les autres, qui sont autant de fictions possibles. Une sorte de film en 3D mais en 2D, quoi.

C'est assez génial et on attend avec impatience que Gabriadze tire profit des possibilités de ce dispositif, en termes théoriques. Faire advenir un évènement important dans une fenêtre cachée par d'autres, par exemple, et juste capté par un petit coin d'image ; ou simplement par le son, le nombre de cadres ouverts les uns sur les autres empêchant de comprendre ce qui se passe réellement ; ou profiter du caractère objectif des plans fixes de web-cam pour mettre en valeur le hors-champ, toujours porteur d'angoisse dans les grands films d'horreur. Malheureusement, la vision du réalisateur est très pauvre : son film ne joue finalement que sur les mots (texte écrit, longs bavardages, jeux ineptes proposés par le bourreau), jamais sur les formes. Les scènes de meurtre sont vraiment ratées, très attendues, les comédiens en-dessous de tout, l'ambition du metteur en scène purement vénale. Il parvient, dans les premières minutes, à rendre compte de ce vertige qu'il y a à se trouver devant un écran vide et d'avoir l'impression d'être celui qui le remplit de fiction (le film est plus intéressant à regarder sur un écran d'ordi qu'au cinéma, ce qui montre que Gabriadze a au moins compris quelque chose de ce que devient le cinéma à l'ère d'internet) ; parfois il joue habilement avec la mauvaise qualité de l'image, avec les accidents (scratchs, images fixes, bugs, déformations) pour fabriquer des sortes de monstres virtuels. Mais il abandonne très vite toute idée pour se concentrer sur son histoire inepte. Nous, pendant ce temps, on construit le film idéal, pur chef-d'oeuvre qui nous vaudrait l'Oscar à tous coups. En tout cas, Unfriended marque une étape en trouvant de nouvelles façons de faire du cinéma d'horreur, fait rarissime : en l'ancrant dans la modernité, en le conceptualisant à mort, en se servant des leçons des films passés (Rear Window, Redacted...) pour en prolonger les inventions à l'ère du "tout-visible". Je vais donc écrire la formule qui m'a valu ma célébrité : voilà le film d'horreur le plus excitant depuis The Descent.

Unfriended (Cybernatural) de Levan Gabriadze - 2015

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