Une page d'histoire filmée quasi en direct, du moins quelque 35 ans plus tard, on a beau dire, ça a de la valeur. Le western a tendance à nous renvoyer dans une époque un peu fantasmée, dont on a l'impression qu'elle n'a pas vraiment existé. Eh bien, Custer's Last Fight, c'est le contraire : voilà un film qui, malgré son caractère évidemment propagandiste, sent le vrai, le vécu, et renvoie à une réalité bien concrète. Ce sont les enfants des protagonistes du film qui ont du assister à la projection à l'époque, et le film, très pédagogique, tente de leur donner une illustration scolaire mais précise de ce qui a pu se passer en 1876, quand les armées de George Custer ont décidé d'aller titiller les Sioux à Little Big Horn. 40 minutes d'Histoire, donc, qui montrent par le menu les tenants et aboutissants d'une des plus sanglantes batailles américaines, depuis les difficultés rencontrées par le Général pour faire entendre à ces enc*** d'Indiens qu'il va bien falloir qu'ils quittent leurs belles plaines bisonneuses et regagnent les petites réserves misérables que l’État leur a généreusement attribuées jusqu'au monument funéraire érigé en l'honneur du Héros Blanc une fois les choses dites. Entre temps, de la poussière, des râles d'agonie, des flèches sifflantes, des chevaux chutant lourdement et des épouses se tordant les mains à l'annonce du trépas de leurs hommes : ça n'est pas de tout repos. Bon, que les choses soient claires : les Indiens sont les méchants, les soldats blancs les bons, les raisons des seconds sont les bonnes, les protestations des premiers inadmissibles. Une fois cette base posée clairement, et une fois acceptée la déification totale de Custer, on peut y aller. On est encore loin des westerns subtils qui viendront quelques 40 ans plus tard. C'est binaire et partial comme pas deux, les bons blancs toujours présentés dans des postures nobles (Custer à son bureau semble poser pour son buste), les Indiens toujours présentés dans des poses turpides (ils sont fourbes, brutaux et sans pitié). On note toutefois que Ford s'intéresse tout de même autant au sort des "natives" qu'à celui des héros blancs : le personnage de Rain-in-the-face ayant droit à une biographie quasi complète de ses exploits (avec même une évasion de pénitencier qui vaut des points).

Bon, c'est toujours pareil avec ces films du début du cinéma : c'est pas encore très fin au niveau des possibilités nouvelles que celui-ci propose. Custer's Last Fight est composé sagement d'une alternance de cartons de textes interminables et de plans fixes qui viennent simplement illustrer ce qu'on vient de lire. "Custer envoie ses capitaines l'un à l'ouest l'autre au sud", et bim, on voit le brave général faire de grands gestes avec les bras devant ses complices ; "Le chef indien réplique", et boum, on voit un gusse déguisé en indien qui lance des flèches. Tout ça n'est pas très inventif et assez terne, mais peut-on le reprocher à Ford, qui d'une part en est aux tout débuts de son art, et d'autre part a d'autres chats à fouetter ? Pour lui compte bien plus la véracité de ce qu'il raconte : s'il reste un cheval survivant à la bataille, il veut le montrer ; si le capitaine Machin est mort d'une flèche en plein cœur, hors de question qu'il se prenne le truc dans la tête. Cette exactitude de chaque détail est assez touchante, et on oublie le côté très strict et rigide du filmage, pour admirer ces grands mouvements de figurants, ces fumées innombrables qui envahissent tout, ces acteurs impliqués, cet énorme barnum de bruit et de fureur mis en place pour notre simple édification. On apprend plein de trucs sur cette bataille mythique, et si au niveau cinéma on reste au ras de la moquette (Ford brother n'est pas encore aux manettes), les yeux en prennent quand même pour leur argent. Un livre d'histoire en mouvements, c'est fun.

Go old west, here

Custer's Last Fight de Francis Ford - 1912

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