Après l'assassinat en plein aéroport du demi-frère du dictateur nord-coréen, nous voilà face à un autre petit scandale géopolitique de ces dernières années : le démembrement d'un des journalistes d'origine saoudienne les plus en vue, Jamal Khashoggi, dans un consulat dudit pays, en Turquie. Alors exilé aux States, de passage en Turquie, notre bon journaliste, reconnu, la soixantaine, passait au consulat récupérer des papiers en vue de son futur mariage ; il n'en ressortit jamais, ou alors en morceaux. Les autorités turques, sur ce coup-là, se révélèrent (par la suite) plus transparentes que leur café (ou leurs toilettes, mais le rapprochement est limite) : ils donnèrent volontiers aux pays demandeurs les enregistrements en leur possession des discussions qui eurent lieu dans le consulat même avant, pendant et après l'assassinat ; aucun doute, Jamal est tombé dans un traquenard... Quinze personnes détachées pour l'occasion en provenance de l'Arabie Saoudite attendaient sa venue et avaient tout programmé pour le tuer et le faire disparaître. L'homme à l'origine de ce meurtre ? Aucun doute sur le fait que le futur prince héritier (BMS pour les intimes) soit le commanditaire de la chose. Et sinon ? Bah, ce n'est qu'un journaliste, hein...

Alors oui, c'est vrai que deux heures c'est un peu long pour exposer ce scandale, Fogel aimant à faire trainer les choses et à enrober son doc de "joli papier brillant" (musique angoissante, plans serrés sur la fiancée impuissante de Jamal, animation virtuelle...) pour tenter de donner encore plus de poids à cet assassinat programmé. On s'en serait volontiers passé : d'autant que la volonté politique de détruire un tel homme lucide et libre et engagé est évidente... Toute la dramatisation qui est faite autour de l'un de ses proches (un jeune type exilé aux States et dont la famille restée aux Emirats est menacée - certains de ses frères étant même en prison (à ses dires, mais on veut bien le croire...)) qui serait le futur homme à abattre (il avait décidé avec Jamal de contrer le pouvoir saoudien sur le net (le combat des abeilles de la liberté contre les mouches du pouvoir (!!!)) semble un peu forcé (et ce d'autant que rien n'est fait pour cacher l'identité et les déplacements de cet homme très inquiet...). On sent que Fogel, sûr de tenir un scandale de taille (mais qui fut déjà étalé dans la presse), décide de convoquer toute la cavalerie pour enfoncer le clou. Oui, on voit bien que Trump, once again, avec son concept de real politik first (comment accuser un type qui nous achète des armes par millions, hein ?), avoue sans ambages ses choix politiques (non, je ne condamnerai pas directement ce prétendu assassin); les autres pays européens, plus discrets, se contentent d'hypocrisie diplomatique (on condamne en sourdine et on ne fait rien : nous aussi on a des contrats, bordel). Mais tout cet aspect-là aurait justement mérité d'être un peu plus fouillé, avec des témoignages à l'appui ; de même, on aurait voulu un peu plus de faits concrets, de preuves tangibles autour de ce combat mouches-abeilles plutôt que ces animations virtuelles auxquelles on peut faire dire tout et n'importe quoi... Un sujet éminemment (émiratement ? oui, ça se tentait aussi) effarant mais qui mériterait une approche sûrement un peu plus finaude pour mettre les Etats occidentaux face à leur responsabilité et leur diplomatie de l'autruche. A creuser (sous le sable le pétrole, c'est bien connu).

The Dissident (2021) de Bryan Fogel

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