Pas facile, mes enfants, la solitude dans les grandes cités. Jim est seul, Mary est seule. Chaque jour c'est métro, boulot, solo. Quand les amis, en couple, décident d'aller faire un petit tour à Coney Island Jim et Mary se retrouvent comme deux âmes en peine, prétextant avoir une foule de choses à faire pour se retrouver comme deux couillons dans leur douze mètres carré. Et puis une petite musique qui passe dans la rue se fait entendre, allez après tout, tentons une sortie pour se retrouver au milieu de la foule en plein carnaval. Il finit forcément par croiser son regard, il cherche à l'épater, elle lui fait le coup de la fuite, il la poursuit, elle l'attend gentiment. C'est tournée des grands ducs dans les stands de foire et dans les montagnes russes... mais la foule les sépare, l'orage gronde... ses deux petits coeurs solitaires auront-ils la chance de se recroiser un jour, point d'interrogation.

C'est un montage à la Vertov, qui file à deux mille à l'heure (cinq secondes pour un plan, cela doit bien être le grand max), c'est donc un film gonflé aux hormones russo-hongroises qui possède plusieurs petites particularités : on peut ainsi noter, venant de nulle part, trois scènes avec le son, comme si Fejös venait tout juste d'inventer le bazar pour créer plus d'intimité entre ses personnages, pour qu'ils ne soient plus jamais séparés par des cartons. C'est comme un choc. Puis, tant qu'à nous épater, boum le gars nous sort, alors même que la fête bat son plein, une poignée de séquences en couleur, histoire qu'il y ait des ballons bleus et des ballons rouges - du pur fun, quoi. C'est sa tournée, cela lui fait plaisir et nos deux personnages, trouvant à la fois la parole et un début de carnation, de nous paraître encore plus proches. Car ces deux âmes qui reprennent vie en se côtoyant, c'est bien sûr nous qui, sans complément, sommes automatiquement sujet à la déprime. D'inhumains dans leur solitude bête et méchante (toute la semaine, ils travaillent comme des robots, lui dans son usine en faisant des petits trous dans des bidules, elle devant son tableau de bataille sous-marine en mettant des fiches dans des petits trous pour connecter les gens), ils deviennent, ensemble, deux êtres de chair souriant à tout va, s'esclaffant pour un rien, vivants. Well done, Pál. Si son oeuvre d'à peine soixante-dix minutes passe aussi rapidement qu'un furet entre deux chasseurs, certaines séquences semblent littéralement arrêter le temps : lorsque nous deux amoureux se retrouvent au milieu de milliard de gens sur la plage, battifolant comme deux gamins, puis, le soir tombant, lorsqu'ils décident de faire abstraction de l'univers pour se donner cinq minutes de pause - tout juste le temps de s'engager pour la vie. La ville grouillante a disparu, il n'existe plus que l'un pour l'autre, se faisant, théâtralement, sous un clair de lune plus kitsch qu'un intérieur de vieille anglaise veuve, leur propre film en couleur. Quand ils se perdent deux vue, le désespoir s'abat malheureusement sur leur épaule : ils ne se voient plus alors qu'ils sont à cinq centimètres l'un de l'autre, séparés par un maudit poteau. Leur coeur est dépeuplé, la malédiction semble cruelle. Il faudrait un nouveau coup du sort pour réunir nos deux solitaires... C'est rapide comme l'enfer, mignon comme une poupée de foire, tonitruant comme un coup de foudre. Un classique vintage.

Solitude (Lonesome) (1928) de Pál Fejös

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