Voilà un film pour le moins surprenant, glauque à souhait au niveau du décor et des diverses mésaventures qui arrivent à cette pauvre femme, très intelligemment mis en scène (les fans de Bresson qui aiment à voir des mains en gros plan, notamment, en auront pour leur argent). L'idée de départ est assez ingénieuse : votre femme et vos trois enfants vivent dans un taudis, entourés de fumées d'usines infernales et vous avez la bonne idée de faire venir, pour l'anniversaire d'un des gamins, des amis et un magicien... Le magicien, avec ses tours à la con, met le parter familias dans une malle, il en ressort une poule, applaudissements et pis c'est tout. Ben oui, plus de trace du père, ne reste que la poule... Stupéfaction, crainte, colère et nos deux magiciens branquignoles de se faire, forcément, la malle. On grince plus des dents que l'on rit car l'on comprend rapidement dans quelle panade se retrouve toute la famille : plus de thune, l'obligation de dégager de cet appart dégueulasse, sans parler des hommes, ces êtres vils, qui commencent à rôder autour de cette femme seule... Un tour de magie qui tourne à la gabegie...

Notre femme, tête baissée, n'ayant pas le droit de travailler dans l'usine de son homme, va bon an mal an tenter d'affronter cette société de mâles qui ne cherchent qu'à profiter d'elle... Des petits boulots de merde, des accusations de vol, l'obligation de mettre le gamin au taff et puis la réapparition (!?) de cet ancien mari sous forme de véritable mort-vivant... Dans un décor austère, pourri par la pollution, on assiste au combat lentissime de cette femme contre cette société patriarcale ancestrale... Ce n'est pas franchement le meilleur film pour les fêtes, tant l'on sent qu'El Zohairy se fait un petit plaisir à flinguer le rythme de son premier film comme pour mieux rendre toutes les lourdeurs et les absurdités de ce monde d'hommes profiteurs, exploiteurs, concupiscents... Heureusement, pour faire passer en quelque sorte la pilule, El Zohairy, qui donne une image de l'Egypte pour le moins guère touristique, soigne magnifiquement sa mise en scène : la tête, résolument baissée, de cette femme apparaît le plus souvent dans un coin du cadre ou dans un recoin du décor (comme une métaphore effarante de la place des femmes dans ce monde égyptien primaire) ; le plus souvent mutique, on a presque peur qu'elle finisse par disparaître dans ce chaos fumeux et désertique ; mais sa volonté à trouver des solutions pour survivre (il faut bien nourrir et occuper les trois gamins) demeurera remarquable et exemplaire jusqu'au bout... Si le seul "paradis" semble se trouver dans l'écran de cette télé qui vient ouvrir l'horizon de ce cadre de vie pourrave, il n'en demeure pas moins que notre femme reste combattive jusqu'au bout pour préserver les siens. Tout au long du film, on remarque également cette véritable obsession chez le cinéaste à filmer les mains des personnages, mains qui comptent l'argent, le transmettent, mains qui soignent, mains qui se tordent (de douleur, pour prier ?), mains couvertes de sang, comme s'il s'agissait ici de plus insister sur certains gestes mécaniques, sur les actes que sur la faculté de penser des personnages (il n'est d'ailleurs pas rare que la tête de certains hommes soit coupée par le cadre). Cela donne une atmosphère pour le moins trouble à cette œuvre où on se retrouve (ce qui n'est pas la moindre de ses qualités ni de ses charmes) à s'attendre à tout au détour de chaque scène... si une certaine chienlit semble s'être propagée à tous les étages de la société, on reste scotché devant cette femme qui courbe l'échine mais tente d'arriver à ses fins. Plumes, un film qui pèse et ce n'est pas rien.

Plumes (Feathers) (2021) de Omar El Zohairy

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