Il existe une catégorie de films bien à part, qui constitue certes une niche, mais qui s'avère délicieuse : les "films où Laurent Lucas en prend plein la tête". A cette catégorie, Calvaire pourrait tenir lieu de figure de proue. Notre héros subit effectivement bien des misères dans ce film d'horreur à la française qui s'inspire, ô nobles modèles, des grands films néo-punks et trashouilles américains, de Massacre à la Tronçonneuse à Délivrance. Rien que le pitch fait plaisir à lire : un gars perdu dans la campagne se fait torturer. On ne saurait faire plus concis. Et cette épure complète de la trame, cette absence de motivation (ou quasi-absence : c'est quand du Welz veut trop expliquer les choses qu'il est le moins convaincant), innervent tout le film, qui devient une sorte de manifeste nihiliste parfaitement jouissif. Si, construction classique, la première demi-heure déroule plan-plan sa mise en scène qui fait monter la tension mais ne propose rien de vraiment exceptionnel, on peut déjà y noter quelques notes étranges et décalées de mauvais goût qui font tout le sel des vrais bons films de nerds : Laurent Lucas, chanteur ringard dont les concerts sont filmés en focale longue (effet moche assuré), est tour à tour dragué par une petite vieille puis par une Brigitte Lahaie cinquantenaire ; il se perd ensuite sur une route crasseuse de campagne, y croise un débile léger à la recherche obsessionnelle de sa chienne, puis Jackie Berroyer, bonhomme et bienveillant. Il aura aussi l'occasion, lors d'une ballade en forêt, de tomber sur une bande de péquenots sodomisant une truie. Du Welz, oui, aime ce qui grince, ce qui tache, et sème dans cette première moitié de film des tas de motifs qui donnent pas mal d'indices sur la direction qu'il va prendre. On ne va pas être dans le joli film de dimanche soir, mais plutôt dans un cinéma-bis courageusement assumé, dans un "slasher" décadent, dans une horreur qui cherche le dégoût.

Le dégoût, il ne parvient pas tout à fait à le trouver, malheureusement. Soudain atteint d'une certaine pudeur, d'une certaine frilosité à affronter réellement le gore, il rate quelque peu les scènes sanglantes qui vont marquer la deuxième partie. Mais après tout, si on se souvient du modèle hooperien, on constate qu'il reste dans ses traces : Massacre à la Tronçonneuse contenait finalement très peu de gore, et préférait le malaise au frontal. Ainsi, quand Berroyer se met à vraiment pêter les plombs et les villageois à laisser parler leurs pulsions morbides, c'est vers le malsain que se tourne du Welz, et il fait plutôt bien. La tête rasée à l'arrache, affublé d'une robe ridicule, les mains clouées façon Christ de pacotille, Lucas est transformé en marionnette par ces messieurs, et les plans de du Welz s'emballent de plus en plus, avec quelques sommets : un panormique latéral sur notre pauvre hère hurlant comme une bête face à ses bourreaux hilares autour d'une table ; une plongée à angle droit sur une scène de viol ; un bal dégénéré de paysans regardés comme des monstres abrutis ; un final magistral de fuite dans la campagne. Rien de bien sanglant, non, mais une façon de filmer au tomahawk, une photo cradingue comme on n'en rêvait plus depuis les premiers Wes Craven, un nihilisme forcené qui semble déborder sur la mise en scène. Le réalisateur a en plus saisi quelque chose d'essentiel dans ce genre de film : le burlesque y est omniprésent, que ce soit dans le personnage de Berroyer, comique raté désespéré par le départ de sa femme, ou dans le jeu de Lucas, poussé aux extrêmes dans le vagissement ridicule. Le film ne va peut-être pas assez loin, mais tel qu'il est, il constitue déjà un remarquable essai dans le cinéma français pour instiller un peu d'impureté et s'atteler vraiment au genre.

Calvaire de Fabrice du Welz - 2004

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