Petite déception devant ce film porté aux nues qui n'est qu'une énième (petite) œuvre de zombies sur un problème contemporain : des jeunes gens qui travaillent sur un chantier ne sont plus payés depuis trois-quatre mois ; ils décident de s'embarquer, tous, un soir, pour l'Europe. L'embarcation chavire, le glas sonne. Leurs amantes, possédées par la mort de leurs hommes, viennent "hanter" la demeure du boss de ce fameux chantier - un boss, pour sa part, pas franchement hanté jusqu'alors par sa mauvaise conscience... L'héroïne, elle, la jeune et jolie Ada, n'est en rien possédée, son amant, Souleiman, possédant durant la nuit le flic qui enquête sur la vie d'Ada et sur ses anciennes relations (un incendie s'est déclaré lors du mariage d’Ada avec un richard qu'elle n'aimait point) - son amant ne lui ayant point dit "au revoir", peut-être qu'il est revenu hanter uniquement celui qui le recherche (difficile d'expliquer ceci autrement). Bref. A partir de ce problème purement financier, économique (l'absence de thunes pour vivre dans son propre pays, le désir de partir et la traversée tragique), Diop décide de réaliser un film enfiévré, "habité", sous influence de l’au-delà. L'idée et le concept sont plutôt bons mais le film, usant et ré-usant de ces séances de jeunes femmes zombiifiées, est malheureusement un peu trop répétitif - sans pousser d’ailleurs beaucoup plus loin la réflexion... Tout s'arrête lorsque le boss décide enfin de payer ses dettes envers ses anciens employés (la thune pour alléger sa conscience et hop, il peut continuer d'entuber son monde et d'exploiter les autres) ; quant à l'enquête de police, je ne dirai point qu'elle tombe à l'eau pour ne pas faire le mauvais jeu de mots de l'année, mais disons simplement qu'elle est torchée en deux temps-trois mouvements - le flic qui enquête sur Ada balançant simplement sa clé USB sur le bureau de son chef sans autre forme de procès. C'est abrupt et cela laisse un peu un goût amer ; si on a relativement apprécié certaines séquences (la première scène nocturne où les jeunes femmes, sortant de leur lit, se déversent dans les rues pour aller hanter la maison du boss (bel effet esthétique)), on a en effet un peu moins gouté ce scénario qui laisse très peu de place finalement aux émotions ou à la réflexion - face à ce problème terrible qui n'en finit pas de faire des victimes. Un film plein de bonnes intentions mais un peu court dans sa démonstration. (Shang - 08/01/20)

Même sentiment un peu partagé à la vue de ce film qui a au moins le mérite d'intriguer, et de sortir du film à thèse toujours attaché à ce genre de sujet. On dirait au départ qu'on est parti sur une histoire de migrants, et on soupire en attendant les passages obligés de la chose. Et puis, non, tiens, on reste au pays, et on suit plutôt le destin de celle qui reste plutôt que celui de ceux qui partent. On pense au début qu'on va avoir droit au sempiternel filmage réaliste et au scénario attaché à une "héroïne-qui-se-bat-pour-sa-condition", et puis non tiens, ça vire vers la fable fantastique. Bref, on est surpris, et plutôt agréablement, ce qui n'est pas mal. D'autant que les comédiens (tous beaux) sont parfaits et que la mise en scène est intelligente plus souvent qu'à son tour. Disons que le film, bizarrement, enchaîne les moments très attendus et les moments vraiment beaux, si bien qu'on ne sait jamais trop si on aime ou pas : le beau plan du début, très long plan sur un jeune homme désemparé qui prend la décision de tenter la grande traversée sûrement à ce moment-là, s'enchaîne avec les scènes ratées du mariage d'Ada, trop surfaites ; l'interrogatoire du flic, mal géré dans la mise en scène, peut être collé à ces magnifiques plans de zombies traversant la ville. Hétérogène, quoi, et bien un peu bancal. C'est d'ailleurs dans le fantastique que Diop est la plus convaincante : quand elle attrape au passage le regard blanc d'un fantôme, quand elle montre les évanouissements du flic comme des événements surnaturels, quand elle filme une rencontre dans un cimetière... Le film est un mélange entre Tourneur et Ken Loach, bizarre mix qui remporte souvent la mise, mais fait aussi souvent retomber Atlantique dans le banal. Prometteur en tout cas, comme on dit, si Diop se rêve plus en Weerasetakhul ou en Bonnello qu'en documentariste de la misère sociale. (Gols - 20/04/20)

Atlantique (2019) de Mati Diop

Partager cet article