Entre néo-réalisme vivrier et noir italien bien poisseux, De Santis livre une œuvre où les femmes entre elles sont perturbées par les hommes. Le film s'ouvre sur le vol d'un bijou et se referme sur un croc de boucher - noir c'est noir ; entre temps le parcours de deux hommes et de deux femmes, des amours, des trahisons, mais aussi celui d'une ribambelle de paysannes temporaires venues, le temps d'un mois de Mai, se refaire la cerise : une histoire de campagne avec ses chants, ses éclats de rire, son travail aux champs, ses éclats de riz ; des femmes qui triment (elles seraient plus soigneuses que les hommes pour replanter le riz - cela évite surtout à ses derniers de devoir courber l'échine) et qui tentent autant que faire se peut de gagner leur indépendance. Parmi elles, tout de même, deux femmes qui "sortent du lot" : une voleuse en pénitence (Excellente Doris Dowling dont le regard scrutateur te met à nu) et une charmeuse (Silvana Mangano, la légende) aussi belle que naïve ; ces deux-là ne comptent pas vraiment sur leur travail pour s'en sortir et partagent plus d'une chose en commun même ; l'une a compté sur un homme (l'arsouille Gassman, encore tout jeunot) pour devenir riche mais est depuis revenue de ce beau-parleur fiable comme un vaccin russe ; l'autre veut compter sur un homme (le même : après le vol foireux, il compte piller les réserves de riz...) pour connaître des lendemains qui chantent : toute la question est de savoir si elle en sera aussi pour ses frais ; le second mâle qui tourne autour des donzelles n'est autre que le couillu Raf Vallone, militaire sur le départ : il n'a d'yeux que pour la Silvana mais finira bien par se rendre compte que la Doris est une valeur beaucoup plus sûre... Un quatuor qui sent les embrouilles et surtout qui pue le tragique à plein nez ; dès le départ, on se prépare à quelques tristes cadavres.

Magie de ce cinéma italien qui nous fait vivre pieds et mains dans ces rizières méconnues d'Italie ; des armées de femmes, dans cet après-guerre, se rendent dans les champs pour un salaire modique et une poignée de riz. La mise en scène de cette mise au travail champêtre ne manque pas de figurantes et l'on plonge avec ces femmes corps et corps dans ces bassins humides (les amateurs de gambettes trouveront sans doute ici autant de plaisir voyeuriste que devant une revue du Lido). Des femmes entre elles qui se retrouvent dans des dortoirs pour vivre enfin tranquillement leurs histoires de femmes, sans mâles superflus (cantonnés aux extérieurs et guettant derrière et sur les murs ces visiteuses annuelles). Seulement voilà, Doris et Sylvana semblent destiné à avoir une vie plombée par les hommes ; Gassman et ses petits coups en douce, Vallone et son sourire enjôleur, elles ne sont (ou ne furent) insensibles à l'un ou l'autre... Alors même que les femmes rêvent de leur sac de riz bonus, que certaines crèvent à la tache, nos deux héroïnes cherchent une issue de secours en ces hommes : Silvana finit par s'accrocher à ce salopiot de Gassman (qui n'a pas manqué au passage de l'humilier - mais son âme est faible) et Doris à son beau légionnaire ; mais loin de vaquer chacune à leur occupation, le final nous donne à voir un règlement de compte sanglant : sur fond de crise, de sabotage, de colère, les deux femmes vont tenter de régler leur compte, ou disons plus précisément de régler son compte au même homme, un homme qui finira par incarner le summum du machiste et de la fourberie. Après un récit ponctué par les rires gras des femmes, par les drames, par cette putain de pluie qui semble vouloir enliser ces femmes à jamais, on assiste à un dénouement tragique, violent et brutal ; de né-oir-réalisme à la De Santis qui n'a rien perdu de son côté docu (ah ouais, du riz en Italie !), de son charme (Silvana et ses danses à se damner) et de sa tension (les flingues finissent par cracher leur venin sur le fil). Du riz, des larmes, de la romance et du drame. De Santis nous fait goûter au fameux noir rital avec sa touche d'amertume.

Riz amer (Riso amaro) (1949) de Giuseppe De Santis

Partager cet article