Rocco Siffredi, son talent d'acteur, ses films subtils, sa vision de la vie aigüe, son rapport aux femmes parfaitement sain, et bien entendu son énorme chboub qui a assis sa célébrité : Demaizière et Teurlai se penchent sur ce monument (...) du film de boule à l'occasion du départ à la retraite du bel étalon italien. Et le résultat est intéressant. Les gusses plongent en immersion dans la psyché de Rocco, et regardent en parallèle le gars travailler. Leur film alterne donc les interviews du sieur, la plupart du temps en larmes face aux souvenirs de sa mamma aimante, visiblement en plein bilan moral ou en pleine dépression, et les scènes sur les tournages des films, qui montrent notamment la fascination totale qu'il exerce auprès des petites poulettes à peine majeures. On a beau ironiser, il y a une sorte de mystère dans cet homme, véritable mythe du genre, qui a passé sa vie entière à se faire des gonzesses, la plupart du temps dans un contexte très violent de domination, et qui a exploré tous les fantasmes hétérosexuels possibles. Jeunes, vieilles, laides, belles, petites, grandes, il les a toutes tentées, avec une santé qui force le respect.

Le film sait trouver la distance idéale pour parler du bougre : dans les scènes de tournage, jamais graveleuses, on reste dans des gros plans sur les hommes au travail, suants, concentrés à mort, et sur les femmes surjouant l'orgasme et assez effrayées ; les réalisateurs captent de vrais moments de vérité qui en disent très long : une entrevue entre une débutante et une aguerrie, qui fait froid dans le dos ; des disputes entre Rocco et son cousin réalisateur qui veut un peu trop se piquer de faire de l'art ("Quand est-ce qu'on baise, dans ton truc de merde ?") ; ou justement le personnage secondaire qu'est le cousin, qui a vécu toute sa carrière dans l'ombre de la bite de Rocco, nid de frustrations et de rancune mal digérée. Dans les scènes d'interview, elles aussi passionnantes, on assiste au discours très judéo-chrétien d'un Rocco conscient de ses addictions, véritable malade obsessionnel, et surtout du rapport à sa mère : sans tomber dans un freudisme de pacotille, le type est littéralement hanté par ses pulsions sexuelles envers celle-ci, et a cherché toute sa vie à expier cette faute. Fasciné par les femmes, qui ne jouissent selon lui que quand il les prend brutalement voire les cogne carrément, complètement perdu dans l'amour qu'il leur voue et la violence qu'il leur fait subir, tributaire de sa seule bite, tiraillé entre une vie de famille bourgeoise traditionnelle et ses fixettes sexuelles, c'est un personnage magnifique.

On voit là-dedans, en filigrane, ce qu'est l'entreprise du porno, et le portrait n'est pas tout à fait idyllique. Dirigée par des hommes libidineux aux idées de mise en scène kitchissimes, elle est envisagée comme une entreprise d'esclavagisme très malsaine. Seule s'en sort une actrice sur le retour, très indépendante, sorte de néo-punk à la Despentes qui semble savoir diriger Siffredi pour assouvir ses propres fantasmes, là aussi triste personnage assez pathétique mais qui a su faire de sa domination acceptée une arme de combat. Quand démarre le fameux dernier tournage (mais on a du mal à croire à cette retraite), on reste pantois devant tous ces personnages hantés, malades, frustrés, dominés par leurs pulsions, fabriquant du film pour des adolescents priapiques... Triste film, mais regardé avec respect et (un peu trop) esthétisé par des réalisateurs assez effrayés par ce qu'ils découvrent.

Rocco de Thierry Demaizière et Alban Teurlai - 2016

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