L'occupation allemande a laissé quelques films de propagande, quelques films de résistance, et puis et surtout quelques films d'une bienveillante neutralité, n'ayant d'autres buts que de faire oublier pendant 90 mn aux Français qu'ils étaient occupés. A mon avis, c'est le cas de ce délicieux Nous les Gosses : on pourrait y chercher de subtils symboles et des allégories politiques complexes, mais j'ai préféré y voir simplement une jolie comédie de moeurs morale et rigolote sur l'enfance, et me laisser aller à la vision lumineuse de Daquin sur icelle. Dans le sujet déjà, on sent qu'il faut éviter la gravité : un môme pète une verrière à 1800 francs dans la cour de l'école en jouant au foot ; tous ses copains (entendez l'intégralité du quartier entre 4 et 15 ans) vont s'organiser pendant quelques jours pour réunir cette somme rondelette, malgré l'adversité (les flics qui luttent contre le travail gratuit (contre le marché noir ? pas de symbole, on a dit), les malfrats qui convoitent le magot (les envahisseurs qui veulent nous piller ? qu'est-ce qu'on a dit ?), les adultes qui ne comprennent rien à la solidarité enfantine. Chacun va donc rivaliser d'invention pour gagner quelques piécettes, et dans ce domaine les mômes ne sont pas avares : balancer de la poussière sur les chaussures des messieurs pour les obliger à passer chez le cireur, chanter de jolies chansons sous les fenêtres des gens tout attendris, profiter des mendiants du coin pour doper leurs bénéfices, s'emparer du lucratif marché de la vente de muguet, prodiguer des cours d'argot aux bourgeois bien élevés du coin, faire le bateleur sur les marchés, etc. Le monde est dur, le marché du travail pas moins, le monde interlope des escrocs (salauds d'Allemands ! qu'est-ce qu'on a dit ?) bien dangereux, mais nos enfants réussiront dans leur entreprise et pourront reprendre leurs jeux innocents (les attaques de diligence) devant les yeux attendris des grands épatés par leur débrouillardise.

C'est édifiant, pas dangereux pour un sou, mais ça a un charme nostalgique évident, qui doit d'abord beaucoup à la direction des enfants, tous épatants. Daquin comprend cet univers, même s'il le fantasme un peu, et met tous ses efforts pour rendre cette bande de galopins tordante et attachante : avec leur grande gueule et leur camaraderie hors d'usage, ces enfants dégagent quelque chose d'oublié et de précieux. Le film est entièrement concentré sur eux, les épisodes parallèles (l'histoire d'amour, le complot des pickpockets) étant carrément sacrifiés à leur profit. Les adultes sont d'ailleurs, eux, fadissimes, alors que le monde des enfants est regardé avec une tendresse qui éclate à l'écran. C'est pas grand-chose, mais Daquin parvient à parler des mystères de cet âge-là, ses violences (le portrait social de la famille du responsable du bris de la verrière est très réaliste, on pourrait se croire dans le Truffaut de L'Argent de Poche), ses gloires, ses désespoirs et ses triomphes. La mise en scène est lumineuse, discrète mais très professionnelle : la caméra est mobile et tonique, le noir et blanc très beau, le montage au taquet, et on a même quelques idées modestes qui marquent des points (la scène de pétage de tirelires est impayable). Un beau petit film sur l'enfance, finalement, attentif et drôle, qui ne va pas péter bien loin mais qui vous donne votre part de nostalgie et de soleil.

Nous les Gosses de Louis Daquin - 1941

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