Mazette, que voilà un objet bizarre et original et insaisissable et déroutant et beau. Comment aborder ce film aussi envoutant qu'ardu ? Peut-être en précisant qu'il s'agit peut-être là du premier film botaniste gay de l'Histoire, et que rien que pour ça... Un Prince raconte effectivement le lien atavique, presque primaire, entre des hommes dans la campagne profonde de Normandie, tous passionnés de plantes, tous taiseux et proches de la nature, tous cultivant entre eux un érotisme naturaliste, cru et décomplexé. Tout tourne autour de Pierre-Joseph, un étudiant en horticulture, qui débarque un jour dans cette école rurale pour y apprendre les secrets des plantes. Il ne tardera pas à coucher avec ses profs et maîtres de stage, braves paysans bien plus âgés que lui ; leurs scènes de sexe, crues et frontales, sont de vrais moments de magie cinématographique, aux cadrages minutieux, la Vérité faite plan. Le rapport du jeune homme à ses aînés tient autant de la recherche du père que de la passion commune pour les fleurs, comme la réminiscence d'une communauté rêvée, un fantasme utopique se déployant sans entrave dans le paysage normand.

Par le prisme de ce personnage, c'est à un autre, absent pendant 90% du film, que Un Prince s'intéresse : Kutta, mystérieux et mythologique garçon, parti aux Indes et revenu avec une aura princière (et une bite-Méduse du plus bel effet), qui sera l'amant ultime de Pierre-Joseph. La présence/absence de Kutta marque de magie tout le métrage, qui flirte volontiers avec un certain fantastique, qui se nimbe en tout cas d'un caractère mythique. Le choix de faire parler les acteurs en voix off la plupart du temps (et pas leurs propres voix : on reconnaît Amalric ou Gadebois) ajoute à cet aspect très littéraire tendance Duras, donne un aspect hyper-arty à ce machin qui ne pourrait être que bizarre. Le film nous arrive en tout cas brut de pomme, comme taillé dans un bon vieux bout de bois, âpre et sans concession, et en même temps doux et minéral. Il témoigne d'un regard très singulier (je n'avais jamais vu un tel truc, à part peut-être dans les premiers Guiraudie ou les trucs abscons de Lépingle), et d'une sincérité de chaque instant, d'une sûreté de goût affirmée : Creton a son univers et nous le montre sans ambage. C'est un univers assez sophistiqué, calme, doux, plein de garçons qui s'enculent et de baisers échangés entre vieux devant des cabanes, de chasseurs et de fleurs, de dessins et d'amour. Inoubliable, pour sûr.

Un Prince de Pierre Creton - 2023

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