Davy Chou est doté d'un excellent œil, c'est moi qui vous le dis, qui lui permet entre autres de réaliser un film tout en nuances et en beauté avec ce Retour à Séoul. Comme il est aussi muni d'un bon cerveau et de doigts agiles, il parvient également à écrire un scénario surprenant, original, qui déjoue les attentes et parvient à raconter autrement une éternelle et rebattue histoire d'adoption et de recherche de racines. Il n'y manque pas grand-chose pour parvenir à nous proposer un film tout à fait grand, un chouille peut-être de modestie, un sens du rythme qui se perd à mi chemin, et surtout une écriture de personnages. Je développe. Freddie est une Française d'origine coréenne qui se retrouve à Séoul ; est-ce par hasard, comme elle le suggère à sa mère adoptive restée en France ? Ou est-ce pour tenter de retrouver la trace de ses parents d'origine, ce qu'elle refuse plus ou moins d'admettre ? Il se trouve d'ailleurs que sa quête est bien erratique, une valse hésitation autour du cœur de son problème intime, qui se fait à grands coups de cuites, de sexe, et de rencontres diverses et variées dans cette ville tentaculaire et complexe qu'elle n'essaye même pas de comprendre. Quand enfin, elle s'y met, elle retrouve la trace d'un père, qu'elle va partir rencontrer. Le sort qu'elle va réserver à ce pauvre type ressemble à la façon dont elle aborde le monde qui l'entoure : égoïste, frontal, sans empathie, sans pitié, dur, critique.

C'est ce qui m'a le plus dérangé dans le film. Loin de moi l'idée de juger le film à l'attachement que j'ai eu pour le personnage principal, ou de le critiquer moralement. Mais là, cette fille est détestable, d'un bout à l'autre du film. Et le regard porté sur elle par Chou, qui veut de toute évidence qu'on l'aime, ou en tout cas qu'on admire son évolution de petite Occidentale gâtée et sans tendresse à la femme mûre et capable d'aimer, va à l'encontre du personnage. Systématiquement, elle affiche une morgue très tête-à-claque, et elle m'a franchement empêché de suivre son parcours avec la tendresse recherchée. Que voulez-vous, une violente antipathie pour elle, quoi, et tous les autres personnages sont eux aussi regardés avec peu d'amour par un cinéaste qui les surplombe un peu : le père pleurnichard et sa famille trop mièvre, sa copine collet monté, ses amants de passage trop fragiles. Chou oppose à l'insolence de Freddie un catalogue de gens tous plus mal-aimables les uns que les autres, mais ça ne suffit pas à rehausser la demoiselle. Parfois, la cruauté et la liberté revendiquée de Freddie donnent de belles scènes : par exemple, un jeune amant humilié en direct par la drague lourdaude de Freddie, ou un autre qu'on trouve tout mignon renvoyé dans ses quartiers en une seule phrase ("je peux t'effacer de ma vie en un claquement de doigts" : terrible sentence). Et c'est vrai que cette histoire de recherche de ses origines finit par modifier le personnage, qui va vers une compréhension du pays et vers une plus grande attention aux autres. Le film s'étale sur une dizaine d'années, et enregistre une lente mais sûre métamorphose psychologique chez cette fille trop sûre d'elle. Elle finira d'ailleurs par tomber sur une opposition franche, peut-être ce qui lui fallait pour enfin commencer à être une femme digne et mature.

A part ceci, on ne peut qu'admirer la grande maîtrise formelle de Chou. Alors que e scénario est plein de ruptures de ton très radicales, Retour à Séoul est d'une belle clarté de ligne, racontant une histoire parfois sophistiquée et pleine d'ellipses avec beaucoup de fluidité. Les ambiances de Séoul sont très bien rendues, grâce à un sens du mouvement et du rythme interne des séquences très bien balancé, et à une très jolie photo (qui prouve qu'on peut quand même faire des belles choses avec le numérique) ; la ville est omniprésente alors même que Chou privilégie les gros plans, tout fasciné qu'il est (à juste titre) par sa comédienne. La thématique des racines m'importe très peu, je le reconnais, mais il arrive à la rendre intéressante par le biais qu'il choisit pour la raconter, toujours surprenant avec ce personnage en porte-à-faux assez imprévisible. Bref de la très belle ouvrage, mais un travail sur les personnages un peu supérieur et maladroit. (Gols 23/02/23)

Je rejoins Gols globalement sur son analyse, l'héroïne, avec ses petites mines de parisienne merdeuse, étant dès les premières secondes bien peu aimable... Elle débarque à Séoul, fait fi des règles et des traditions, pense pouvoir imposer sa loi... Elle va tout de même, en effet, progressivement, lâcher du leste, notamment vis-à-vis de ses parents biologiques dont elle ne se fout point tant que cela (même si elle sait au besoin se montrer odieuse) et trouver sa voie... On comprend assez rapidement que, dans ce pays "d'origine", s'en étant, plus ou moins inconsciemment, sentie rejettée dès le départ, elle ressent le besoin elle-même de ne guère se poser de questions pour envoyer chier au besoin les personnes de son entourage ; charmante, elle sait charmer, mais ses petites crises de fille tête-à-claques finissent également par l'isoler... Cet isolement, au cours de ce long parcours, au cours de ces différentes phases d'acceptation/rejet (par rapport à ses amis, ses amants ou sa famillie biologique), elle va finir par le trouver, trouvant, par le biais de ce parcours chaotique, sa propre petite mélodie personnelle... Davy Chou, disons-le également au passage, est assez doué pour se servir de sa bande-son et trousse quelques jolis petits passages musicaux qui mettent en valeur sa vedette... Par ailleurs, si je trouve que l'ouverture sur la Corée (sa culture, ses alcools, sa musique pop...) demeure un peu portion congrue, je rejoins Gols au niveau de la construction de ces personnages qui manquent un peu de relief (et que dire du jeu de certains (l'héroïne y compris) qui manque indéniablement de naturel). Les ellipses, qui tombent un peu comme des cheveux sur la soupe, ne sont pas non plus toujours d'une grande finesse : on fait des grands bonds dans le récit comme pour vouloir passer à autre chose mais on ne voit pas vraiment au passage ce qui a vraiment changé dans la vie ou le caractère de ce personnage principal - un petit effet un peu facile et pas toujours très crédible. Mais dans l'ensemble, Davy Chou réussit tout de même à garder la maîtrise de son oeuvre, une certaine fluidité de la mise en scène demeurant indéniable. Un film tout en nuances sur un personnage de chieuse, ce n'était pas si évident à faire avaler. (Shang 30/04/23)

Retour à Séoul de Davy Chou - 2023

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