Voilà une Palme d'or à inscrire dans la catégorie "académique", mais qui ne démérite pas pour autant. On est dans la grande tradition du cinéma anglais : acteurs parfaits, scénario habile mais mise en scène dans les chaussettes, et on sent bien que le jury de Cannes a plus voulu récompenser la subtilité du fond que l'innovation en cette année 1973. C'est vrai que de ce côté-là, on est assez gâté, l'écriture tient très bien la route : Lady Franklin sort de dépression après la mort accidentelle de son mari. Elle se lie peu à peu d'amitié avec son chauffeur, un gars un peu rustre, amateur de boxe et timide, amitié qui va virer doucement vers des sentiments plus inavouables, peu en accord avec leurs classes sociales. Avec finesse, par petites touches, le film fait grandir ces sentiments indicibles, et regarde ces deux êtres humains fragiles construire puis détruire un amour possible. Pour une fois, le titre français est bien trouvé : le constat va être amer pour l'un des deux protagonistes. On peut parfois se fourvoyer complètement dans ses choix amoureux, je ne vous apprends rien, et le final de The Hireling vous le clame en pleine face avec une amertume glaciale.

Robert Shaw interprète le rustre Ledbetter avec une mesure impeccable. A la fois rigide et tout en force, il est parfait dans ce mélange de déférence dûe à son métier et de lâcher-prise amoureux. Bridges lui a adjoint son exact opposé, Sarah Miles, 12 kg toute mouillée, qui joue la fragilité de son état mental avec une vraie crédibilité. On reste pourtant toujours du côté de Ledbetter, et on scrute avec lui, à sa hauteur, les moindres petits indices envoyés par la donzelle : ce petit rire, ce petit geste, cette phrase, signifient-ils que le sentiment est là ? Que peut-on espérer, que peut-on tenter ? Le film est assez cruel, nous faisant ressentir avec lui tous les tourments de l'amour, de l'espoir naissant à la désillusion, de la jalousie à l'euphorie. Cette dentelle fine est inscrite dans une mise en scène classique mais assez belle, reconstitution grand crin des années 20, image parfaite sur la campagne anglaise et la petite société huppée des villes ; mais on sent que Bridges a tout concentré sur ses excellents acteurs, et qu'il en a oublié qu'il avait lui aussi un rôle à jouer. Bon, tout de même, notons que le gars est très habile pour suggérer les sentiments naissants à travers la simple place des acteurs dans son écran, et notamment à l'intérieur de la voiture de maître conduite par Ledbetter. On devine les émotions de celui-ci, selon que sa vitre est ouverte ou fermée, selon que son pare-brise occulte ou non les acteurs, Une très belle scène le montre épiant dos tourné une conversation entre Lady Franklin et son rival en amour, simplement par son reflet dans la vitre qui sépare le couple et lui : une présence/absence qui est la marque du personnage, toujours en retrait alors qu'il aimerait occuper l'avant-plan. Mais malgré ces quelques idées, malgré la parfaite distance de Bridges par rapport à ses protagonistes, tous complexes, tous humains, on dirait souvent du James Ivory, voyez, quelque chose de très beau mais d'un peu froid, de très bien joué mais d'un peu transparent. Rien à reprocher de vraiment clair, c'est parfait à tous les postes, tout le monde fait du très bon boulot. Mais on sort de la salle comme on y est entré, ni plus ni moins.

Quand Cannes, là

La Méprise (The Hireling) d'Alan Bridges - 1973

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