Kenya, Tanzanie, Zambie, Malawi, voilà le parcours de notre héros Gabriel (from a true story) retrouvé mort dans une montagne du Malawi. Barbarosa, une fois n'est pas coutume avec ce putain de « from a true story », mêle adroitement la fiction (le parcours "non-touristique" de Gabriel en ces contrées) et le documentaire (dans cette reconstitution, on retrouve certains des personnages locaux qui avaient, à l’origine, croisé la route de Gabriel) et on a souvent l'impression (ce qui est une gageure) que la caméra est totalement invisible tant ce parcours est filmé de façon totalement « réaliste » : ce qui fait résolument toute la force de ce récit-nématographique (Les Cahiers sont morts, à nous de tenter des jeux de mots à la con). Gabriel n'est pas pour autant un traine savate sorti de sa cambrousse profonde et en quête de fuite, un back-packer à la con, mais un jeune gars en PhD (dans le domaine de l'éducation et de la pauvreté) venu du Brésil qui décide de consacrer quelques mois à l'exploration des pays cités ci-dessus. Le gars, c'est le moins qu'on puisse dire, se positionne hors des sentiers battus ne se fiant qu'aux rencontres du hasard ; cela lui permet de limiter son budget à mort : non point qu'il soit particulièrement pingre (dès qu'il peut partager une partie de son budget avec les locaux, il s'y emploie) mais simplement parce qu'il n'est pas une pompe à fric touristique ; ce n'est pas toujours évident (notamment au Kenya, ne me lancez pas sur le sujet) mais il parvient jusqu'au bout à rester fidèle à ce concept de pure démerde, de pur feeling (ce qui n'est pas toujours conseillé dans des endroits isolés, il en paiera le prix, pour le coup...). Ce qui rend le film assez attachant, justement, c'est cette façon qu'a Gabriel de dealer ses expéditions de façon franche avec tous ceux qui souhaitent l'accompagner ; squatter chez l'habitant et manger avec lui, ce n'est pas simplement chez notre homme une posture. C'est un réel désir qui lui permet de faire de belles rencontres et de mieux connaître quelques aspects culturaux loin des stéréotypes. L'aspect sans doute un peu plus irritant c'est que le Gabriel est un peu tête-à-claques. Têtu, peu ouvert à la discussion (sa petite amie en visite lors de l’un de ses trips en fera les frais), vite irascible quand les choses ne se posent pas comme prévu, il met plus d'une fois ses interlocuteurs dans l'embarras... Ouvert sur le monde mais surtout quand cela convient à ses principes. Il fait vite sinon la sourde oreille. Et le moins qu'on puisse dire c'est qu'à force de n'écouter que ses envies, de marcher droit devant sans forcément réfléchir, un jour ça coince...

L'objet filmique est intéressant en soi tout comme la capacité qu’a Gabriel de suivre le moins possible les itinéraires touristiques balisés ; les guides qui viennent vers lui s'adaptent à sa façon d'être (et à son budget) ou pas. Du coup, cette œuvre permet de découvrir ces pays sous un autre angle, privilégiant toujours le petit côté roots, brut de pomme. Gabriel est bien souvent le seul mzungu dans les parages, ne croisant les touristes qu'en de rares occasions. On découvre du coup certains pays de façon plus frontale, plus franche, plus direct (à l'image de la personnalité de Gabriel) à hauteur d'homme - et non depuis les hauteurs d'un bus ou d'un 4x4 ; c'est ce qui rend le film agréable, résolument particulier, authentique. Après, bon, comme je le disais, le personnage de Gabriel tape parfois un peu sur les nerfs (il ne remet guère en cause ses façons de faire), le film est un peu long (plus de deux heures et pas mal de marche : on en a un peu plein les bottes à la sortie) et finalement un peu répétitif. Heureusement, jusqu'au bout (les photographies sur le générique de fin où l’on découvre le personnage « originel »), cette capacité à mêler astucieusement doc et fiction fonctionne à plein et on a véritablement l'impression de vivre "en direct" les dernières heures de Gabriel. La morale, elle aussi, est loin d'être béatement niaise : s'il est difficile de ne pas louer dans cet être cette volonté d'aller vers son prochain, de se confronter sans filtre à la nature, son inconscience, son extrémisme (je peux me démerder tout seul n'importe où) lui reviennent dans la tronche, fatalement, comme un boomerang. Une œuvre avec son originalité, son côté résolument humain, ses aspérités, ses faiblesses, comme pour mieux rendre hommage aux qualités et aux défauts de l'être humain incarné par Gabriel. Beau voyage loin des moutons touristiques bêlant de concert même s'il s'achève, pour notre petit malin, dans le ravin.

Gabriel et la Montagne (Gabriel e a Montanha) (2017) de Fellipe Barbosa

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