On peut faire du suspense avec tout, y compris avec les coulisses d'un grand restaurant. C'est ce que prouve Philip Barantini avec ce vigoureux premier film qui vous choppe dès son entrée et vous laisse rassasié et satisfait au dessert, entre le thriller anxiogène et le documentaire, entre le polar et le portrait social. Si on passe une soirée délicieuse, ce n'est pas le cas de Andy, chef d'un resto étoilé qui va ce soir-là accumuler toutes les tares. Non seulement le gars, divorcé, a du mal à régler ses soucis personnels et tendance à les oublier dans la bibine, mais en plus la salle est pleine ce soir, et pleine d’emmerdements en puissance. Notre gars doit gérer aussi bien les cuisines, où entre plongeur flemmard, barmen rigolards, gérante tyrannique et jeunes cuisinières maladroites il a déjà bien du boulot, mais encore les cas défilent dans sa clientèle : on a la famille de racistes hautains avec la serveuse black, on a l'allergique aux fruits à coque qui a oublié de le préciser, on a les critiques à deux balles qui exigent des steaks dans un resto gastronomique, on a les Américaines en goguette à moitié bourrées, on a le cuistot concurrent qui vient pour en découdre, on a la critique sans pitié qui s'impose, plus la commission d'hygiène très tatillonne, plus l'employée qui arrive en retard, plus, plus, plus... notre gars n'en peut plus au bout de 5 minutes, et le film en dure 95. Autant dire que ce service va être un véritable enfer pour Andy, qui plonge de plus en plus dans la merde, rattrapant un problème ici pendant qu'un autre démarre là-bas. Et on le suit dans sa chute, qui sera brutale.

L'idée du film, qui commence tout de même à perdre de son intérêt tant on l'a déjà fait, c'est de filmer tout ça en un seul plan-séquence. On en a un poil marre, on aimerait presque voir un film monté normalement pour changer, mais n'empêche : dans le cas qui nous occupe, ça marche plutôt bien, la caméra virtuose passant avec élégance et force des cuisines à la salle, de la salle de repos au parking, et rendant bien compte de l'aspect immédiat de l'histoire. On a l'impression que tout se déroule en direct sous nos yeux, ce qui rend les choses encore plus dramatiques et tendues. Côté véracité, c'est impeccable : Barantini a dû se renseigner un max pour rendre avec une telle vérité le quotidien des grands restaurants, les problèmes qu'ils traversent, le vocabulaire précis, les techniques, tout ça. Et il a concocté un casting parfait, une bande d'acteurs anglais irréprochables qui rendent à merveille l'urgence de la situation et la spirale descendante dans laquelle ils sont engagés. C'est vrai que, ramenée à la durée d'une soirée, la somme de merdes qui tombent sur le râble d'Andy semble un peu exagérée, et on se marre presque quand un nouveau cataclysme vient s'ajouter aux 40 autres. Mais on reste pour autant scotché par le rythme du film, par son efficacité narrative qui avance façon bulldozer, et par le plaisir communicatif qu'a toute cette bande à nous plonger dans le stress. Excellent divertissement.

The Chef (Boiling Point) de Philip Barantini - 2022

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