La Vengeance d'une Femme a tout d'un film désuet comme on n'en fait plus ; mais il a aussi tout le charme de la modernité la plus pointue ; ce qui fait qu'on est là face à un film de toute beauté. Il semble que Rita Azevedo Gomes place dans ce film tout ce qui fait l'essence du cinéma portugais : la lenteur extrême, le goût pour le théâtre, le romantisme sombre et quasi-morbide, le style encore très marqué par le cinéma des origines. Pour raconter son histoire et faire passer les inspirations il est vrai très datées de Barbey D'Aurevilly, la dame décide de se tenir à l'exact milieu entre la tradition (littéraire, théâtrale, cinématographique) et la modernité la plus poussée (celle héritée de Oliveira, décidément la référence dans le cinéma portugais). Au départ, on semble pénétrer dans un monde disparu, un peu ringard même : un théâtre classique, avec ses conventions et ses personnages très codés. Un lecteur vient alors nous introduire dans l'histoire : nous voilà devant une toile peinte, avec des arbres en plastique, et en présence de Roberto, dandy et homme à femmes vieillissant, observant les femmes qui passent et se souvenant qu'elles ont été à lui. Tradition ancestrale mais très jolie du théâtre classique, dopé par une mise en scène mobile et parfaitement découpée, qui accentue le trouble entre les deux arts. Après une séquence vraiment splendide (une orfèvrerie de mise en scène) autour d'une réception et d'un concert lyrique, Roberto est vite mis en présence d'une prostituée qu'il suit sans vergogne. On va alors passer dans une sorte d'espace-temps parallèle, une véritable plongée dans un autre rythme, dans un lieu magique. Cette prostituée s'avère être en fait une aristocrate de Sierra Leone, trahie par son mari. Elle va entamer le long récit de sa vie et de l'événement traumatique qui l'a amenée à la prostitution.

Azevedo Gomes joue avec une virtuosité parfaite entre théâtre et cinéma. Ce lieu dans lequel sont enfermés les deux amants pendant 90 minutes devient l'endroit de tous les fantasmes, de toutes les temporalités, de tous les souvenirs de cette duchesse, et on peut dans un même mouvement y écouter un récit au présent et y voir passer un fantôme du passé. L'artifice du théâtre, avec ses jeux de lumière très codés, avec ses décors de carton-pâte, avec ses conventions (notamment celles du grand-guignol dans lequel verse souvent Barbey d'Aurevilly, ici abordées avec un sain premier degré) rencontre sans arrêt la sophistication du cinéma, avec cette complexe grammaire de gros plans, de profondeur de champ. Le mélange est magnifique, et on reste happé dans cet univers entre un cinéma des origines, très archaïque et la "fausseté" de la scène théâtrale ; ce qui fait qu'on est à la fois extérieur au conte cruel qui nous est raconté (notre regard peut se faire critique ou amusé), et envoûté par cette histoire vénéneuse, d'un romantisme noir. Le scénario semble brasser deux siècles de tradition littéraire européenne, ample et solennel, même si cette trame semble un peu hors-d'âge ; et la mise en scène raccroche à une tradition elle aussi classique, et en fait un truc moderne. Tout assume un parfait anachronisme, jusqu'à la musique, sublimement utilisée pour le coup, du "moderniste décadent" Schoenberg, mais tout y affiche une jeunesse et une fièvre d'aujourd'hui. Une belle réussite.

La Vengeance d'une Femme (Vingança de uma Mulher) de Rita Azevedo Gomes - 2011

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