Alors oui, je ne pense même que nous étions ivres à ce moment-là, ne cherchons aucune excuse, mais on s'était dit cet été avec l'ami Gols que nous devrions tout de même avoir un film d'Annaud sur ce blog ; la moindre des choses, diront certains, pour cet "incontournable" réalisateur français des eighties qui enchainait les projets les plus ambitieux (financièrement, hein...), pas forcément diront d'autres sans doute plus clairvoyants... Bref, le mal est fait, et nous voici donc devant cette adaptation cinématographique de ce sous Borges, de ce petit écho de Borges, Umberto Ecco. Indéniablement Annaud apporte un soin particulier à ses décors (cette abbaye qui se détache de ces montagnes enneigées), à cette ambiance moyen-âgeuse qui se fond dans le brouillard et le sang, à ce casting de tronches plus improbables les unes que les autres ; une pincée d'énigme policière, une patine littéraire, une scène de sexe moite et Annaud fut alors sûrement très fier de son chef-d'oeuvre d'adaptation... Mouais. Nuançons le gars. D'une part, Jean-Jacques ne fait pas dans la dentelle (on le connaît) : des inquisiteurs très très méchants, un Sean Connery hiératique, un disciple candide candide, des moines à la gueule cassée, on fait dans le gros trait qui tâche ; on pourrait éventuellement sauver de la chose la voix de basse, que dis-je, caverneuse de l'éternel Michael Lonsdale ou encore ce personnage interprété par Ron Perlman, ce Salvatore multilingue, babelisant, innocent et sauvage comme aux premiers temps, forcément coupable par la suite aux yeux de l'inquisition qui ne pouvaient se permettre de supporter l'impur, la différence sous une quelconque forme (comme Z., tiens). Un personnage avec quelque peu d'aspérités dans un film aux images comme aux ambiances affreusement datées et à l'intrigue (ouh là là, on va simplifier au max pour le peuple) expliquée avec une pédagogie de maître d'école - Annaud et l'implicite, ça fait huit... Pire, quand on regarde d'un peu près le montage, on se rend compte que tout cela n'est pas vraiment fluide, que les gros plans envahissent l'écran de façon étouffante, que le bougre d'Annaud se permet même d'accélerer (je vous jure) certaines scènes (vers la fin en particulier) pour les rendre sans doute plus trépidantes, plus divertissantes ; tout le mal est en fait là : peu de finesse, peu de sous-entendu, guère d'humour malgré l'air constamment goguenard de Sean - on est plus dans le "grand spectacle", dans le barnum (du sang, des cris, des flammes, des cadavres exquis...) que dans une quelconque subtilité littéraire (deux mots de latin et hop, Annaud pense avoir franchi la barre pour avoir l'air d'un intellectuel - heureusement qu'il n'a pas eu l'idée d'adapter Duras... Ah bon ? Non !!!?). Au final un petit livre d'images aux enluminures convenues et un pet de soupçon d'énigme policière sur fond historique (alors original, certes) vite résolu : un divertissement popu qui aimerait se donner des allures (littéraires, finaudes, profondes, artistiques...) qu'il n'atteint malheureusement jamais.

Le Nom de la Rose (Der Name der Rose) (1986) de Jean-Jacques Annaud

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