Un parfum d'authenticité et de bouses de vaches émane de ce film des années 80, dernier témoin de... ah attendez, on me souffle dans l'oreillette que, non, il s'agirait d'un film de 2017... Incroyable. Agou fait plus fort que Depardon, et trouve encore aujourd'hui un de ces fameux "derniers paysans" traqués comme le loup au cinéma. Il fallait bien creuser, et notre gars pousse sa caméra dans les fins fonds du Forez pour dénicher un de ces mohicans du monde rural, en général un pauvre hère consanguin, sale comme un cochon, illettré et déconnecté, se lamentant tout du long sur la fin du bon vieux temps et du savoir-faire en grignotant des miches de pain énormes, un chien pouilleux à ses pieds. Ce coup-ci ça pourrait bien être quand même les tout derniers, et même Agou dépasse un peu la date de péremption : même mes parents m'ont confirmé que leurs grands-parents à eux étaient plus modernes et moins crasseux que ceux qu'on voit à l'écran. Autrement dit, le film est un peu anecdotique et peine à représenter un véritable fait de société : ces paysans à l'ancienne n'existent vraiment plus, ne sont finalement pas témoins de grand-chose, et c'est presque pas dommage de les voir disparaître quand on voit l'indigence intellectuelle, sentimentale, sociale, de ces laissés-pour-compte. Laissés-pour-compte certes attachants pour certains, pleins d'expressions et de gestes authentiques, expression d'un certain état de la société à la fin du XIXème disons, mais tout de même un peu bêtes de zoo en nos temps actuels.

On regarde donc partagés entre moquerie et tristesse totale ces quatre ou cinq êtres complètement déphasés par le monde actuel, tentant de survivre dans leurs fermes délabrées en se battant contre les institutions fiscales, la vache folle, la solitude et leurs connards de voisins, dans une pauvreté totale. Vous aimez les films pleins de boue de Bela Tarr ? vous aimerez cette petite vieille cassée en deux, traînant sa carcasse dans des cours de ferme remplies de gadoue, en gueulant contre son vieux chien et en chopant par-ci par-là un canard exsangue ; vous adorerez cet éleveur à qui on enlève ses vaches, dernière richesse avant désespoir, et qui s'accroche à un minable article paru dans le journal local pour y croire encore ; vous apprécierez ces pièces de maison envahies par les monceaux d'ordures, au milieu desquelles on trouve parfois un lit, parfois une horloge jamais nettoyée, parfois une nichée de chatons, parfois un téléphone. Le portrait n'est guère reluisant, on se dit que Agou a quand même dû fouiller un moment avant de dénicher ces oiseaux-là. La tristesse totale est le sentiment dominant de la chose, tristesse qu'on, laisse encore des gens vivre dans une telle misère aujourd'hui, tristesse de constater qu'il y a encore des gens aussi inadaptés à notre monde actuel, tristesse aussi de la disparition d'un certain rapport aux bêtes et aux paysages.

Le film fleure bon la sincérité, c'est vrai, et Agou a pris son temps (plus de 10 ans de tournage) pour observer ses personnages hors du commun. Malheureusement, les bonnes intentions ne font pas le bon film. Par-delà le léger plantage au niveau du fond, le film ne représentant qu'un exception et non ps une règle, il y a la réalisation qui pêche désespérément. Complètement privé de construction, jetant le scénario aux orties, Sans Adieu file sans ordre, attrapant des images qui ont du mal à faire sens, qui ont du mal à dire des choses. Et puis surtout, ses images sont, il faut le dire, dégueulasses. Je veux bien que le film ayant été commencé en 2002, le matériel ne soit pas terrible à cette époque, mais quand même : le gars fusille tous ses paysages en floutant les images, en les enveloppant de brume, en les pixellisant façon téléphone portable première génération ; et il cadre de plus au petit bonheur, fabriquant des plans biscornus qui n'ont aucune raison d'être (un type qui boit un verre en contre-plongée, des plans très serrés sur une botte de paille...). Il se tient systématiquement à la mauvaise distance, trop près le plus souvent de ses sujets (mais il faut dire que le capharnaüm des maison l'oblige à la proximité), filmant à l'arrache et sans talent. Au final : raté.

Sans Adieu de Christophe Agou - 2017

Partager cet article