Les Gens de la pluie (The Rain People) de Francis Ford Coppola - 1969
Coppola fait ses gammes et les affine avec ce joli film modeste, qui arrive après des œuvres de commande un peu impersonnelles et impose son style. Tout réalisateur américain des 60's qui se respecte se doit de faire son road-movie, c'est donc chose faite : Les Gens de la pluie nous propose une traversée de l'Amérique en compagnie de deux déclassés, et épouse les chemins de traverse dans la ruralité du pays, peuplée de citoyens "normaux" parfaitement rendus par un Coppola en pleine empathie. D'un côté, Natalie (Shirley Knight), femme au foyer tranquille et classique mais qui, à l'heure où elle tombe enceinte, décide de prendre la tangente : elle quitte mari et foyer pour une escapade sans but, en quête d'elle-même. De l'autre, Killer (James Caan), brave garçon rendu simplet à la suite d'un accident de foot (...), et qu'elle prend en stop.: il est en route pour retrouver sa fiancée et un boulot hypothétique. En attendant la venue de cet enfant, dont elle se demande d'ailleurs si elle va le garder ou non, elle veut bien s'occuper de ce grand gaillard tout d'innocence, qui menace de se faire bouffer par tout ce qui l'entoure. Il faut ajouter à ce tableau Gordon (Robert Duvall), un flic qui a le béguin pour Natalie, père irresponsable d'une gamine, représentant de la société et de sa folie.
Curieux filmage que celui que Coppola choisit pour raconter cette simple histoire. Le film, au montage très heurté, s'apparentant même souvent à un collage pop, semble une longue rêverie où passé et présent se mêlent, où les sentiments ne se disent pas mais éclatent dans des détails (la femme qui parle d'elle-même à la troisième personne): comme une traversée subjective de plusieurs psychés, le point de vue alternant sans cesse entre les différents protagonistes. Qui est le fou dans ces trois personnages ? La femme qui renonce à son confort bourgeois et quitte tout sur un coup de tête ? Le simple d'esprit qui prend tout au premier degré ? Le flic rangé mais qui se montre violent, irresponsable et autoritaire ? Coppola ne tranche pas, mais nous propose ces trois portraits de gens déclavetés en ne cachant pas une certaine inquiétude sur l'état mental de son pays. Les différentes épreuves et personnages secondaires qu'ils rencontrent sur leur passage, aussi malfaisants soient-ils (un patron de ménagerie sans scrupule) paraissent après tout bien plus normaux que nos trois gusses. Au final, le film est le portraits de trois solitudes qui n'arriveront pas à fusionner, et s'avère très mélancolique et triste. Un essai pas encore totalement maitrisé dans sa forme (le film suivant de Coppola sera Le Parrain, et ce sera parti pour la longue série), un style qui se cherche encore un peu, mais une finesse psychologique impeccable : très émouvant.