Underground (1995) de Emir Kusturica
Et c'est avec le gars Emir que l'on va clore cette odyssée Palme d'Or, notre "petit" cinéma de quartier ayant eu l'audace de ressortir la chose en version neuve (2h45 pour 6 personnes (sur 225 places), cela sent un peu la gabegie tout de même... J'espère qu'Anna chez mon ami Gols a fait plus d'entrées...). Kusturica eut en son temps ses fans (dont je fus) avant de partir dans des voies de traverse un peu inquiétantes (ce film sur Maradona, tout de même... Diable !) : revoir cet Underground une trentaine d'années plus tard permet, de mon petit point de vue, tout autant de reconnaître le sens de l'esbroufe délirant de notre homme que le sens de l'esbroufe un peu creux parfois de notre ami cinéaste... Je ne dis pas qu'Underground est dénué de qualités et que je n'ai pas pris un vrai plaisir à retrouver cette musique trompettante et systématique d'un Bregovic sous acide, ces personnages de fou-furieux bigger than life de Blacky ou Marco, ou encore ces scènes incontournables de mariée volante et de cuites violentes... Mais faut reconnaître aussi que le Kusturica avait parfois la main un peu lourde pour charger, que dire, pour doper certaines séquences à grands coups de rythmes musicaux lancinants et d'explosions intempestives et ce petit côté tape-à-l’œil semble parfois avoir un peu vieilli (ce fameux style Kusturica qui finit par tourner à un moment donné à l'auto-parodie...). Bref, on assiste tout de même encore ici à de bons moments de cinoche à travers l'histoire de ces deux amis : dès la séquence d'ouverture, on sent que nos deux voleurs de grands chemins (on est alors en pleine guerre) mènent grand train et ne se refusent en rien, toujours prêts à faire la fête, même sous les bombes. Nos deux résistants anti-nazis détournent des armes à tour de bras et leur inconscience n'a d'égal que leur frivolité ; ils vont d'ailleurs, malheureusement, tomber amoureux de la même donzelle, ce qui va créer forcément finir par créer une certaine brèche dans leur amitié : le finaud Marco, pour vivre son amourette en solitaire, enferme définitivement son pote Blacky dans la cave, lui faisant croire pendant 20 ans que la guerre n'est point fini... Deux amis à la vie, qui deviendront frères ennemis (une parabole ? vous avez tout à fait le droit d'en voir une) et qui ne se réconcilieront que dans la mort... Mais avant d'en arriver là, on aura vécu moult aventures et assisté à maints événements dramatiques : un zoo qui explose, un mariage dans une cave qui part en quenouille, un réseau d'autoroutes souterraines angoissants, un tournage de film qui vire au tragique, une nouvelle guerre cinquante plus tard sous le regard hagard de casques bleus inopérants...
Il brasse, il brasse, le Kusturica, parfois un peu d'air (vicié... - et encore, on a vu finalement qu'une partie de l’œuvre qui, uncut, fait le double de temps) mais on peut lui pardonner aisément certaines petites facilités (et certaines longueurs... ce mariage en cave n'en finit pas...) tant ce cinéma-là était habité d'une certaine folie salvatrice... Si les deux guerres en toile de fond apportent forcément leur lot de drames (et d'images d'archives peu reluisantes... la foule accueillant les nazis, tout comme Tito par la suite, en libérateurs), Kusturica fait souffler un vrai vent de folie - et d'humour - sur cette œuvre pleine comme un œuf ; du même coup, on est prêt parfois à fermer un peu les yeux (mais pas trop longtemps non plus, sinon on s'endort) sur cette exubérance parfois un peu forcée... Tout n'est pas parfait (ce tournage de film manque un peu de nerf et, une fois qu'on a capté tout le côté grotesque et parodique, d'intérêt en soi) mais on ne peut reprocher au cinéaste de faire dans la demi-mesure... Ses deux interprètes principaux, jamais à court de mimiques et d'actes dingues (on s'embrasse comme on se bastonne, on s'aime comme on se déchire), tiennent le film sur leurs épaules d'héros de pacotille et parviennent aisément à faire passer la grosseu pilule : leur amour, leur amitié, leur ambition, leur folie sont sans limite et parviennent bienheureusement à nous amuser tout du long, même dans l'au-delà. Même si le cinéma de Kusturica a pris un ptit coup de vieux, ne boudons point cette énergie de bulldozer qu'il parvenait, alors, à insuffler à ses œuvres.