Un Charmeur (Mr. Fix-It) d'Allan Dwan - 1918
Gloire à la Boulange, émérite commentateur de ce blog, pour la découverte de ce petit trésor inconnu de nos services (il faut dire que Dwan a réalisé à vue de nez 3000 films) : je ressors hilare de la vision de ce film qui voit Douglas Fairbanks se livrer à une série de cascades impayables et foncièrement inutiles qui force le respect. A ce niveau de santé, on ne peut que s'incliner, et on cherchera en vain quelqu'un qui sache aussi bien rouler dans un escalier, porter 15 mômes sur son dos, utiliser une corde à linge comme liane, sauter des rampes, mettre des mandales de bufflon dans les fâcheux ou marcher sur les mains, tout en gardant un sourire Colgate immaculé, en draguant la gorette de service, et en solutionnant tous les problèmes de ses potes. Comment ne pas craquer devant l'inépuisable énergie de l'acteur, qui influe d'ailleurs sur tout le film ? Même pas une heure de métrage, et le machin est rempli comme un œuf, tout en gardant une élégance impeccable : on n'a jamais l'impression que Dwan court après le temps, et il prend volontiers le temps de peaufiner un gag, de donner un petit trait marrant à un personnage, de souligner une émotion, quitte à laisser l'action principale de côté quelques instants.
Fairbanks interprète donc un brave gars dont la grande passion est de résoudre les problèmes des autres. Cette fois, c'est son pote Reggie qui est à la peine : il doit rentrer au pays où l'attendent sa famille guindée et une jeune promise dont il ne veut pas. Ni une ni deux, notre gars se rend là-bas, se fait passer pour Reggie (ou, bon, là il y a un petit bug, mais ça va tellement vite que ça passe crème) et se charge de remettre tout dans le bon ordre : le mariage de son pote, celui de la sœur de celui-ci, le triste sort d'une orpheline et de ses frères rencontrés par hasard, le balai dans le uk de la famille, et il en faudrait peu pour qu'il s'occupe de la faim dans le monde. Pour ce faire, il court comme un beau diable à tous les coins de l'écran, proprement inarrêtable et insaisissable, gagnant peu à peu le cœur de tout le monde, enfants comme adultes. On apprécie particulièrement la totale inutilité de la plupart de ses acrobaties : le gars peut vous remonter tout un escalier pour le simple plaisir de le dévaler cul par-dessus tête, sauter par-dessus la rampe d'un autre alors qu'il lui reste trois marches à descendre pour simplement faire marrer le plus petit des gosses, dévaster tout un quartier à la recherche de sa belle alors qu'elle est tout simplement dans sa chambre, ou déclencher une vaste opération chirurgicale pour guérir une poupée. Le simple plaisir de l'énergie pure, que l'acteur exerce avec un charme irrésistible.
Le film n'en oublie pas pour autant d'être soigneusement mis en scène, et jamais Dwan ne se laisse distraire par le bagout de son comédien. Observez juste la discrète présence des jets d'eau dans toutes les scènes sentimentales, où un couple s'embrasse, pour juger du côté taquin de Dwan. Le film est gentiment coquin, si vous voulez mon avis, et le tout dernier plan (un gosse qui coupe enfin le robinet) en dit long sur la vision du mariage sans avoir besoin de longs discours. Belle utilisation également du plan large pour les scènes d'ensemble, même si l'image change brusquement de nature à ces occasions. Et puis surtout, Dwan est au service du burlesque, celui-ci étant présenté comme l'antidote parfait à la lutte des classe : avec de l'humour, de la déconnade, des gags, on peut venir à bout du plus grincheux des barbons, et abolir les a priori de la classe dominante sur la classe dominée : les pauvres épouseront les riches, les gueux s’installeront dans les appartements des nantis, tout ça par la grâce d'un gars qui marche sur les mains : voilà un discours qui réchauffe le cœur. Une petite merveille, aucun doute.