Le Cercle (دایره) de Jafar Panahi - 2000
En ce nouveau millénaire, Panahi décide de ne pas tout à fait faire dans l'optimisme béat par rapport à notre époque. Le Cercle est un de ses films les plus noirs et désespérés, montrant par la mise en scène et le scénario une société iranienne sclérosée de partout, sacrifiant ses femmes dans une impunité constante, piétinant le droit et la décence aux pieds de la tradition et du on-dit, se refermant de plus en plus sur son intégrisme religieux absurde. Il opte pour ce faire pour un dispositif à la Ophüls : construire son film sur un cercle, la fin venant rencontrer le début par une boucle du temps, comme dans La Ronde. Ça commence par une femme qui accouche dans un hôpital, et par un premier emmerdement pour celle-ci : elle accouche d'une fille, alors que les échographies avaient prévu un garçon, d'où le divorce annoncé d'avec son mari outré. A partir de ce fait divers déjà terrifiant, Panahi va s'attacher par "bonds" à un défilé de femmes, toutes spoliées, toutes abandonnées, toutes malheureuses : série de petites histoires édifiantes qui s’enchâssent les unes dans les autres, pour donner un aperçu terrifiant de la condition de la femme en Iran en cette année 2000 : prisonnières libérées contraintes de fuir, femmes seules poussées à la prostitution, fillette abandonnée par sa mère, femme face à un avortement, c'est un festival de tragédies intimes vécues par ces dames.
La caméra reste au plus près de ces drames, de ces visages tourmentés, de l'énergie (du désespoir) de ces madones sacrifiées. Depuis le très long et magnifique plan labyrinthique du début jusqu'à ce cadre final, sec comme une trique, qui renferme toutes les femmes dans leur triste sort, le film est doté d'un rythme incroyable, haletant. Panahi rend à merveille la monstruosité de ce monde ; il le fait grâce au son (la ville est enregistrée comme un chaos de bruit) et grâce à une caméra très mobile, parfois chaotique, qui capte comme essoufflée ces tourments. Comme d'habitude, ses acteurs sont dirigés vers un profond réalisme, et sont bouleversants de naturel. Ça rend d’autant plus ravageuses leurs détresses : on est plongés de plus en plus dans le désarroi face à ces petites vies brisées, ces destins faits de violence et de lutte. Malgré le courage et la pugnacité de ces femmes, jamais on ne peut parler de sororité : ce monde fait tout pour les diviser, et quand tous les personnages se retrouvent à la fin en cellule, c'est dans l'indifférence des autres, dans le repli sur son propre malheur. La seule chose qui les unit, c'est d'être nées femmes dans un monde qui les nie et les violente. Implacable et terrible démonstration d'un Panahi empathique et glacial.