Heroic Trio (Dung fong sam hap) (1993) de Johnnie To
Ahhh les nineties et ce cinéma hong-kongais plus kitsch qu'un mocassin à gland vert, ces mises en scène (To aux manettes) qui en dix secondes te balançaient toute la grammaire Larousse du cinéma en vrac (plongée, travelling, plans décadrés, montage épileptique...) et puis ces stars féminines qui te laissaient coi : Michelle Yeoh, Anita Mui et... Maggie Cheung (respectivement Ching, Tung, Chat...)... Dès le départ, on sent bien qu'on ne sera pas dans la sobriété ni dans le bon goût exacerbé avec cette histoire d'enlèvement de nouveaux-nés... Un voleur drapé dans une cape invisible fait léviter des bébés dans leur lit d'hôpital, bébés qui, après être passés par la fenêtre, se retrouvent à deux doigts de se crasher dix étages plus bas dans la rue... jusqu'à, jusqu'à ce que Wonder Woman survienne en sautant d'un pas allègre de fil électrique en fil électrique et tente avec des bouts de ficelle de sauver les deux chougneurs... le tout enveloppé dans une musique ultra synthétisée plus criarde qu'un vol de canards à l'aube un jour de chasse... Waouhou, ça déchire et les pupilles et les tympans... L'histoire, vous voulez un semblant d'histoire ? Une vieille chose vivant dans un monde reclus cherche parmi ces nouveaux-nés le futur roi de Chine... Pour la combattre, et pour pallier à une police inopérante, Wonder Woman (maquée avec un inspecteur - qui ne la reconnaît pas derrière son masque, la poilade), une justicière en moto et porte-jarretelles (the magic Maggie) et une combattante, acoquinée avec le fabricant de cape, sous l'emprise de la vieille chose jusqu'à sa rébellion (Ching partageant de vieux souvenirs traumatiques avec Tung...). Bon, on se fout de ce fil rouge comme de ses premières chaussettes en mousse, n'ayant d'yeux que pour la sexitude des interprètes, les audaces délirantes de la mise en scène et l'absence délicieuse de morale...
Car To, franchement, ne semble pas vraiment s'émouvoir devant ces petits bébés trop mignons... L'un est kidnappé, puis est récupérée mais, oh mince, un clou a transpercé son petit crâne... Heureusement, il va pouvoir être sauvé par le staff hospitalier... Ah ben non, trop tard, dommage... Pas mieux avec cette bande de gamins enchainés et propriété de la vieille chose, promis à un avenir de tueurs : quand Maggie tombe sur eux, elle propose de les flinguer en masse pour leur éviter un avenir peu radieux ; malgré une pointe d'hésitation dans le regard de Yeoh, papapapapam Maggie ne s’embarrasse pas du moindre petit problème de conscience... Ces gamins étaient pourris, pas la peine d'épiloguer, c'est un souci de moins pour l'humanité... Les partenaires de nos justicières ne connaîtront un sort guère plus enviable : entre celui qui tente de s'interposer d'un doigt entre une mine et un flic et celui, irradié par sa foutue cape, qui saigne du nez comme un cochon, il y aura du dégât physique à déplorer... Avouons que cela part dans tous les sens, que les scènes d'action succèdent aux scènes d'action, et que si parfois on a l'impression d'assister à un grand n'importe quoi en terme de déferlement d'images (une volonté assumée de prendre à revers tout l'art du montage de Yann Dédet ?), il s'échappe malgré tout de la chose un petit côté funky et vintage indéniable. L'essentiel est qu'il y ait du mouvement, que ça vole, que ça charcle et que nos justicières se fassent justice... Mui et sa moue légendaire, les jambes de liane de Yeoh et le regard charbon de Chung font le reste : on n'est pas là pour compter fleurette mais pour livrer une sorte de cinéma champagne plein de petites bulles... To, le bandit, osera même faire une suite à la chose (qui sent encore plus le nanar...), comme si ce trio se devait d'aller au bout du bout de la gabegie du film d'action. Ah douce époque que ces nineties insouciantes et bordéliques où l'excès était un but... Heroïque coït d'images.