La Terre qui flambe (Der brenende Acker) (1922) de Friedrich W. Murnau
Même si en ce début des années 20, les œuvres de Murnau n'ont pas la flamboyance, notamment au niveau des mouvements de caméra ou de l'utilisation des transparences (et autres effets spéciaux), il y a dans ce film DRAMATIQUE à souhait un tel sens de la narration et des rebondissements que l'on en a quand même pour notre argent. On a au départ un certain Johnannes qui a la chance d'avoir trois femmes amoureuses de lui : la petite Marie, paysanne qui le regarde matin et soir comme un coucher de soleil, Gerda, la fille du comte von Rudenburg, capricieuse et fantasque, qui aime à se balader à cheval avec cet homme élégant, et enfin Helga, la seconde femme du comte, qui a autant de flamme pour lui que la cheminée qui crépite constamment au pied de son fauteuil... Il pourrait être sur un petit nuage, le Johannes, cet enfant indigne qui arrive en retard à la mort de son père (au grand dam de son frère Peter, paysan modèle qui mange chaque jour sa soupe auprès de ses employés), ce fils de paysan qui conspue la terre et sa condition, mais non parce qu'une seule chose réellement l'anime : la réussite, le fric... Autant dire que la petite Marie a autant de chance avec lui que de gagner au loto, que Gerda, qui représente un bon parti, pourrait certes, pour un temps, prétendre à l'emporter : seulement voilà, ce n'est pas elle qui héritera du fameux terrain maudit appelé par tous "le champ du diable" mais Helga, champ dont Johannes apprend en secret qu'il renfermerait des réserves de pétrole... Il jette donc son dévolu sur cette dernière, sachant que le comte, bien malade, ne devrait pas tarder à disparaître. Le Johannes est séduisant, oui, mais son âme est plus laide qu'un décor de jeu télévisé. Posséder le champ du diable pourra-t-il le combler ? Ou la malédiction qui colle au dit champ lui sera-t-il fatal ?
Murnau ne développe peut-être pas encore toute sa grammaire du cinéma, mais il cadre ici toujours propre et juste : des paysans au coin du feu qui file un bon coton (l'atmosphère de ce milieu paysan est posée, les gros plans sur le regard vite impressionnable de la plus vieille d'entre eux apportant la petite touche finale), un comte qui s'agite au-dessus de son bureau, relisant les documents laissés par son père (ce fameux champ devrait finir par lui livrer son secret : c'est le nœud de toute l'histoire), des bourgeois qui discutaillent au coin de l'âtre dans une salle immense avec un escalier en toile de fond (l'atmosphère de cette demeure bourgeoise jusque-là paisible est tout aussi bien posée), une immense plaine enneigée cadrée de loin avec au milieu cette curieuse et étrange petite chapelle-souvenir (l'atmophère inquiétante de ce champ maudit est annoncée). Pour animer ces cadres fixes, il y a forcément des personnages qui s'agitent et que Murnau parvient là aussi assez vite à caractériser : l'enamourée Marie, la fringante Gerda (qui s'enivre en ouvrant grand la fenêtre par temps de grand froid : elle ne fera jamais un mariage de raison, elle attend un amour échevelé... elle en aura pour ses frais, la nigaude), la stressée Helga qui tente de se mouvoir avec son petit corps tordu (elle aussi, elle morflera, parbleu), Peter, ce paysan au sourire tendre comme de la mie, coiffé en pétard, qui transpire la bonté et enfin ce fameux Johannes, au visage froid et pâle, à l'air décidé, incapable de montrer plus d'émotion en toute occasion qu'un grille-pain débranché. Murnau, s'il ne nous coupe pas un bras par sa mise en scène, fait joliment monter en tension son drame : Johannes, sans foi ni loi, sans âme, avance ses pions, se servant au besoin de telle ou tel et ne pensant qu'à sa gueule... Il joue, frôle le ravin mais l'on sent bien qu'à tout moment son bonheur matériel risque de lui exploser à la tronche. Murnau aura-t-il, à un moment ou un autre, la volonté de sauver l'âme de ce pauvre hère... Peut-il encore être sauvé malgré son pacte avec ce champ du diable ? C'est l'un des nombreux suspenses de la chose qui vous laissera hagard ou ragaillardi. Une belle nourriture cinématographique terrestre à défaut d'un style ultra flambeur.