LIVRE : Les Naufragés du Wager (The Wager : A Tale of Shipwreck, Mutiny, and murder) de David Grann - 2023

C'est avec des bouts de varech coincés entre les dents qu'on termine la lecture de ce génial récit de marine, une de ces aventures viriles qui vous laissent proprement sans voix. David Grann a réuni une masse de documentation édifiante (une quinzaine de pages de bibliographie en fin de volume) pour tenter de raconter dans le détail l'odyssée de ce navire anglais, parti un jour de 1740 à la conquête d'un galion espagnol au large du cap Horn, bien fier de lui et de ses 250 hommes... et dont la poignée de survivants reviendra au pays plusieurs années après, en haillons, rachitiques, bouffés par le scorbut, tourmentés autant physiquement que moralement. Entre temps en effet, leur aventure aura été jonchée de naufrages, de coups de vent, de malédictions diverses, d'actes impossibles pour survivre, voire de choses beaucoup moins avouables : mutinerie, meurtres, cannibalisme, ... Un voyage hallucinant de bout en bout, qui semble cumuler toutes les malédictions qu'un marin est en droit d'attendre quand il prend la mer. J'aurais tenu environ 6 heures à bord du Wager ; eux résistent et se battent pendant des années, qui perdant une jambe, qui encaissant un coup de mousquet, qui se noyant aux trois-quarts, qui bouffant de la terre dégueulasse pendant des mois. Le point d'orgue étant que, de retour en Angleterre après toutes ces épreuves, ils doivent subir un procès pour déterminer qui a trahi qui, qui s'est mutiné, qui a tué, qui a trahi le saint sacrement des marins.

J'affectionne toujours ces récits de marine pleins d'aventures et de personnages au caractère bien trempés. Mais avec ce livre de Grann, on tient un champion toutes catégories. La somme de travail est monstrueuse pour parvenir ainsi à nous raconter au jour le jour les moindres détails du voyage catastrophique, les moindres mouvements d'humeur de ces hommes se battant pour leur survie, les moindres coups du sort, la plupart terribles, qui s'abattent sur eux. Les Naufragés du Wager se lit comme un roman à suspense, d'autant que les personnages sont forts et parfaitement dessinés : le principal, le capitaine David Cheap, vague lieutenant bombardé par la forces des choses capitaine du vaisseau, et qui va faire preuve du début à la fin d'une loyauté, d'un courage, d'un sens du devoir et de son rôle inébranlables, est le plus intéressant. Mais autour de lui s'ébattent une foule de seconds rôles à rendre jaloux Herman Melville, des seconds félons à la jeune recrue (un ancêtre de Byron) pleine de courage, du chirurgien dépassé au flibustier mal rasé, c’est tout le folklore du récit de marine qui est convoqué. Tout est pourtant vrai dans cette histoire, et on a du mal à concevoir qu'une telle aventure ait pu avoir lieu. Dans un style très fluide, Grann raconte simplement mais habilement, ménageant des coups de théâtre, variant les points de vue, situant toujours son affaire politiquement, mettant en valeur telle bassesse ou telle grandeur humaines, dépeignant par la bande une société très codée, régie par la hiérarchie et le code d'honneur. Même au plus profond du désespoir, ces hommes sont toujours menés par leur honneur et leur réputation, et c'est bluffant. Grann ressuscite un genre, et nous offre un récit d'aventures palpitant, passionnant, un morceau d'Histoire oublié qu'on découvre bouche bée : grandiose ! (Gols 30/09/23)

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On est dans le récit d'aventures taille patron avec en effet ce gars Grann qui (avec ses associés, dans la pure tradition du roman américain contmporain "d'investigation et de recherche") s'est tapé une bibliothèque entière pour être capable de nous raconter quasiment jour après jour le périple de ces marins anglais qui s'échouèrent sur une île totalement paumée et déserte en Amérique du sud. Grann, qui s'est même payé le voyage pendant trois semaines sur cette fameuse île Wager (du nom du bateau échoué), se montre dans un souci permanent de retracer au plus précis cette aventure de misère tout en nous tenant fabuleusement en haleine. On aura droit à tous les ingrédients majeurs de ce type de récit : de la ténacité, du courage, de l'ambition, du jusqu'au-boutisme dans l'adversité, de la survie, de la mutinerie, de la trahison, de la défiance, du meurtre, de l'expérience anthropologique, des coups de tabac, du climat extrême, de la nature hostile, de la maladie, du paysage exotique radical, du combat de vaisseau, des trésors, des récits littéraires tirés de cette aventure-même et au final même un procès... En quelques 400 pages bien tenues, Grann nous emmène dans une virée de folie où chaque épisode quasiment se révèle passionnant, surprenant, complétement dingue... Nom de Zeus, on savait en chier et souquer ferme à cette époque. Ce qui est franchement prodigieux, c'est de nous faire revivre aux temps de ces incroyables récits d'aventures, aux temps d'un Stevenson ou d'un Melville - sans négliger à la fois le sens du détail véridique et celui de l'efficacité. C'est plus qu'un page-turner, c'est un truc qui vous attaque en pleine figure comme des embruns lorsque vous êtes en proue de navire un jour d'octobre dans le golfe du Morbihan et qui vous laisse tout ébaubi, mais joyeux, prêt à vous reprendre un nouveau coup de flotte dans la tronche dans la seconde tant la chose s'est avérée vivifiante... On serre des dents avec les différents personnages de cet incroyable récit, en parvenant à comprendre en chacun d'eux quelles sont les raisons qui les animent ; lorsqu'il est question de survie ou d'un tonneau de gnôle, on le sait, tout est possible en l'être humain, le pire comme le pire. Passionnant récit qui nous met du vent dans les voiles et dont un réalisateur quelque peu ambitieux (et espérons-le intelligent) devrait s'empresser de s'emparer (Grann a l'habitude...). Du souffle, dans ce Wager. (Shang 27/01/25)