LIVRE : La Mer de la Tranquillité de Emily St. John Mandel - 2023
Emily St. John Mandel s'attaque à la science-fiction après l'excellent L'Hôtel de Verre (dont on retrouve, ben ça alors, justement un des personnages ici) et s'il y a de quoi se sentir un peu désarçonné au départ (ces sauts dans le temps, de deux siècles en deux siècles qui feraient presque penser à la construction de Demain les Chiens (et la comparaison s'arrête là, même s'il y a également un personnage qui revient au cours de ces sauts de puce géante)), on retombe progressivement, avec souplesse, sur nos pieds. Quitte à faire des références, on pourrait évoquer L'Anomalie, oui oui, notre petit prix Goncourt (mais n'en disons pas plus) ou encore Retour vers le Futur (ou Wells pour les puristes) puisqu'il sera question de multiples voyages dans le temps... On pourrait sans doute (j'ai déjà perdu Gols) un peu grincer des dents devant ces oeuvres citées et auxquelles on pense irrémédiablement à la lecture de ce livre, mais rassurez-vous il y a toujours chez l'écrivaine une fluidité et une intelligence qui permettent de ne jamais nous perdre. Oui, on est intrigué devant ces événements étranges qui se répètent dans le temps (des personnages, à diverses époques, traversent un "territoire" qui provoque en eux une sorte de black-out, chacun parvenant à entendre à chaque fois que cela a lieu une petite mélodie jouée au violon...), devant ce personnage récurrent qui semble pouvoir traverser les époques avec la même facilité qu'un Highlander (admirez, ce matin, le niveau de ma culture), mais bienheureusement les pièces du puzzle s'assemblent peu à peu : arrivé au milieu de l'ouvrage, une fois qu'on a un peu mis la main sur les "enjeux" du récit, cela devient même relativement passionnant. Difficile de chercher à résumer plus en avant la chose, tout le mystère de cette "faille temporelle" étant à la base du suspense de cette histoire très savamment montée. La bonne idée de notre chère Emily est de ne pas avoir cherché à trop délayer son intrigue (200 pages, c'est parfait, quand certains en auraient fait douze tomes) : oui, on traverse plusieurs siècles, oui, on va de la Terre à la lune en passant par d'autres colonies lointaines, oui les personnages (nombreux) n'ont de cesse de disparaître et de revenir au cours de cette histoire, mais chaque (court) chapitre parvient à nous tenir en haleine, et ce sans jamais nous embrouiller à l'excès. Alors même qu'on pensait finir par se noyer dans cette mer de la tranquillité, St. John Mandel réussit le tour de force de toujours nous faire retomber (dans la poussière lunaire certes) sur nos pieds tout en ayant eu soin au passage de donner une certaine densité à ses créatures de papier et en particulier à son personnage principal (petit type moyen qui n'hésite pas à prendre au besoin ses petites responsabilités humaines). Un voyage spatio-temporel déroutant de prime abord mais qui finit par constituer un simple voyage littéraire malicieusement construit et trépidant. On n'en demandait pas plus.