Les Chevaliers teutoniques (Krzyzacy) (1960) de Aleksander Ford
Vous êtes un fan de Chréti123 et du monde de la chevalerie ? Vous trouvez que Perceval le Gallois a le budget d'un salon IKEA et que Lucchini serait plus crédible en coiffeur qu'en Perceval ? J'ai là quelque chose qui pourrait diablement vous intéresser. Ford, l'homme de Kiev, bénéficie d'un budget polonais conséquent pour raconter les événements qui menèrent à la bataille de Grunwald entre troupes polonaises (alliées notamment aux Lituaniens) et féroces soldats teutons... Film de propagande tout à la gloire de la Pologne ? J'ai envie de dire peut-être (je ne connais pas tous les dessous de l'affaire) mais on peut ici très bien se passer de cet aspect politique contemporain pour apprécier à sa juste valeur cette magnifique fresque. Dès les premières images, on est totalement emballé devant la beauté de ces troupes qui se croisent et devant la violence des combats : les Teutons, ces chrétiens ornés d'une croix noire sur fond blanc, s'en prennent à un certain Jurand de Spychów ; ce dernier leur demande des comptes face aux mauvais traitements qu'ils font subir à d'humbles commerçants et nos Teutons, fiers comme des saints, mènent une attaque surprise et dévastatrice dans son château (où ils étranglent la femme de Jurand traînée par un cheval)... C'est le début d'un long contentieux entre Jurand (puis son roi) et les Teutons bien que les deux voisins soient religieusement alliés... Jurand, dans sa soif de vengeance, est secondé par le gars Zbyszko de Bogdaniek qui est tombé grave amoureux de la fille d'icelui. Nos deux chevaliers vont se frotter à la soif de pouvoir des Teutons (qui sont passés maîtres dans l'art de la provocation en duel, du kidnapping et de la torture - ce pauvre Jurand en fera notamment les frais, finissant dans un état qui ferait passer Michel Strogoff pour un footballeur légèrement accroché dans une surface de réparation) avant que le conflit ne dégénère en bataille rangée : la dernière bobine met aux prises les deux clans et le moins qu'on puisse dire c'est que cela va charcler du chevalier...
De nombreux personnages, de longues discussions, des costumes à foison, on a un peu peur au départ de se faire doucettement endormir par ce genre de production croulant sous les moyens. Heureusement, peu à peu, le fil rouge se dessine, quelques personnages sortent du lot (le chevaleresque Zbyszko qui fond pour la belle Danusia tout en étant très complice avec la plus farouche Jagienka, son ventripotent oncle, l'obscur et taiseux Jurand avec son bandeau sur l’œil, ces enfoirés de chevaliers teutons avec leurs plumes de paon ridicules sur le casque) et on se laisse porter par ces diverses aventures rocambolesques : des condamnations à mort à l'issue surprenante, des duels au courage, des trahisons tragiques, des coups bas obtus, des amours exacerbés, Ford ne cesse de multiplier les séquences, les figurants, les trames narratives mais, bienheureusement, on suit ce ballet multicolore avec le rouge aux joues ; c'est beau, héroïque, imprévisible, violent à mort... On devient blême quand Jurand, après le kidnapping de sa fille, vient se rendre aux Teutons, on se lamente quand Zbyszko est injustement condamné à mort, on se morfond quand on retrouve une Danusia diminuée, on s'exalte chaque fois que le Zbyszko montre sa fougue et on tremble de tous ses membres lors de cet ultime combat où les stratégies font rage et où les cadavres s'entassent comme des Chinois dans une rame de métro. Ford nous sert des travelling latéraux de deux kilomètres de long sur des scènes de festin, sur ces chevaliers en ordre rangé, ou encore sur ce champ de bataille qui ressemble à ma cuisine après avoir confectionné un clafoutis ; on demeure, tout au long de ces courtes trois heures de métrage, tout ébaubi devant ce genre de production à l'ancienne à la mise en scène ambitieuse où reconstitutions historiques, scènes d'action fougueuses, romances contrariées, héroïsme aveugle et petites pointes d'humour font bon ménage. Une œuvre de Teutons pointue.