La Vengeance (Adauchi) (1964) de Tadashi Imai

Retour à nos amours nipponnes et en beauté s'il vous plaît avec ce véritable tsunami que constitue Adauchi. Je ne connais encore guère pour l'heure ce Tadashi Imai (j'avais juste vu un film avec mon idole Setsuko Hara) mais je vais me faire un plaisir de creuser sa filmo. De quoi s'agit-il ici derrière ce titre qui annonce clairement la couleur ? Il est bien question, dès le début du film d'une revanche, avec un duel officiel annoncé, entre deux samouraïs : les deux hommes semblent déterminés, mais qui sont-ils, pourquoi cet affrontement, pourquoi autant de battage autour de l'événement ? Le film s'ouvre sur la construction d'une sorte de ring géant dans la brume (j'adore, plus que les gorilles, les films dans la brume, japonaise ou londonienne en particulier... allez comprendre pourquoi... un sens de l'esthétique vaporeux, vaguement fumeux ?) et l'on reste pour un temps dans le mystère alors que la caméra s'approche tour à tour de ces deux combattants qui, chacun de leur côté, semblent tranquillement méditer avant de passer à l'action. Imai, à mesure qu'il donne la parole à des personnes plus ou moins haut placées qui côtoient l'organisation de ce combat médiatisé à mort, va ouvrir des portes, des flash-back qui vont s'enchaîner comme une sorte de jeu de dominos... Tout est parti d'une broutille : une remarque déplacée sur la pointe d'une lance (un peu comme si vous faisiez remarquer lors d'un dîner que l'une des dents d'une fourchette n'est pas très propre (les fans invétérés de Monty Python comprendront)) une simple remarque qui va dégénérer en gravissime pugilat. L'homme qui a fait la remarque sur la lance est l'ainé d'un clan renommé ; celui qui se vexe face à cette remarque déplacée (l'incroyable et remarquable Kinnosuke Nakamura as Shinpachi) vient lui d'un clan plus modeste et occupe un poste subalterne... Mais Shinpachi est fier, n'a pas sa langue dans sa poche, répond et son vis-à-vis de le provoquer illico pour un duel illicite à l'heure du coq dans un endroit déserté... Shinpachi va découper son homme et ce sera le début d'un cycle infernal de vengeance...

Seulement voilà, on va vite se rendre compte ici que contrairement à ce que l'on pouvait croire au début, naïf que nous sommes, nous ne sommes pas dans une simple vengeance entre deux hommes qui partent à égalité et qui devront simpplement faire preuve de courage, de combattivité et de finesse... Peu à peu, à mesure que l'on assiste aux différents palabres des responsables, il est clair qu'il va s'agir avant tout de chercher à protéger le clan "établi" par rapport à ce poil à gratter de Shinpachi. "L'institution" dicte ses règles et si l'on pensait que les valeurs de loyauté et de courage se devaient avant tout d'être valorisées, on va vite se rendre compte que l'on se mettait le sabre dans l’œil... Il s'agit de garder la face, de sauver les apparences, de protéger les puissants (comme d'habitude ? Je vous sens aigri ou c'est moi ?)... Les deux combattants sont d'abord jugés comme "fous", pour brouiller les pistes, puis le frère cadet du samouraï trucidé va vouloir se faire vengeance, histoire de sauver définitivement les apparences - mais tout ne se passera pas vraiment comme prévu... Laissons planer le suspense sur l'issue de ce combat final, sur l'issue des différents combats d'ailleurs... La seule chose que l'on puisse dire c'est que, face à ce monde où la dignité et le respect ne sont finalement plus de mise, seule la folie (douce ou violente) peut encore servir de juste échappatoire... La dernière bobine, mes amis, mettra en scène à la fois toute la lâcheté des puissants et un personnage d'une force terrible et effroyable...

C'est absolument saisissant au niveau de cet enchaînement tragique des faits, minutieusement conté d'un point de vue narratif avec ces constants va-et-vient entre passé et présent, délicieusement filmé (l'art du zoom, eh oui, du travelling avant, du gros plan... tout est un délice dans la construction et le montage de chaque scène où l'on s'approche de plus en plus des personnages), superbement mis en musique, et on reste dans un état extatique devant ce noir et blanc des sixties d'une beauté infernale. Imai, comme pour donner un peu de douceur à cette histoire particulièrement duraille à avaler, parvient également à saupoudrer sur le destin de son héros un peu de zen (le moine ami de Shinpashi) et de romance  (il n'a guère de temps à consacrer à sa "promise" mais les deux-trois scènes sur le sujet sont magnifiques - admirez ce hors-champ pudique lors de la scène d'amour sur des poules qui picorent... moi, cela m'a fait ma soirée ; même si je suis prêt à convenir que pour certains cela peut sembler étrange au demeurant) : on en prend franchement plein les mirettes de bout en bout avec cette histoire en montagnes russes au niveau émotionnel (un peu de calme et de sérénité et pam un combat qui charcle sa mère - et ce final, diable, ce final... Avec une ultime image où l'honneur, enfin, triomphe/meurt ? Je vous laisse juge)... On en finira jamais avec ce vivier de réalisateurs japonais : plus on creuse le sujet, plus on découvre des pépites.

Films nippons