Coma de Bertrand Bonello - 2022
Les films de confinement ont bien fait leur arrivée depuis quelques temps. Dans les rangs, voici Bertrand Bonello qui nous propose un objet étrange, entre expérimentation et introspection, entre portrait de la jeunesse et réflexion sur le monde contemporain. Coma se tient entièrement dans la chambre d'une adolescente livrée à elle-même... et déborde sur les mille mondes intérieurs qui l'habitent, si bien qu'on se retrouve face à un film multiple, qui prend la tangente à tous les coins de rue, et qui offre finalement un portrait de jeune fille étonnamment juste. Après une intro assez abstraite, déclaration à une fille qui sort du coma pour réapprendre à vivre, nous voilà donc en compagnie d'une jeune fille d'aujourd'hui. Celle-ci se livre aux activités de son âge : pas encore sortie de l'enfance, elle joue avec ses poupées ; déjà presque adulte, elle suit une Youtubeuse, Patricia Coma, qui prodigue conseils sibyllins et remarques pointues sur l'état du monde. Elle rêve aussi, d'une sorte de méta-vers un peu effrayant, forêt dangereuse où elle croise les morts et les vivants. Ou elle peut aussi se connecter pour des conversations avec ses copines, autour des serial-killers qui font leurs délices. Prises de vue vidéo, dessin animé, animation de marionnettes, images abstraites, archives documentaires, le film est profus et use avec plaisir d'une hybridation des formes qui va bien avec le sujet, erratique et récréatif. Une suite d'influx nerveux qui sont autant de propositions ludiques autour du concept d'isolement, de fin du monde, de rêverie, de fuite vers d'autres mondes, qu'ils soient mentaux ou virtuels.
Bonello se montre vraiment en cinéaste d'aujourd'hui avec cet essai en forme de parenthèse dans sa filmographie puissante. Il puise chez Lynch, chez Cronenberg autant que chez Lewis Caroll ou le soap pour nous donner à voir le monde intérieur (et légèrement inquiétant) de cette jeune fille en fleurs, et pour nous faire ressentir également cette atmosphère étrange, entre deux mondes, qu'a induit le confinement. Les limbes sont en effet le sujet principal du film, tout comme le rêve, la frontière poreuse entre les mondes, réels, virtuels, oniriques. Certes, c'est un peu flottant, l'homogénéité de style n'est pas le souci de Bonello. Mais c'est justement ce qui fait le charme de la chose : on ne peut pas s'accrocher à une trame, à un motif, à un discours. Le film est au contraire un faisceau de possibilités, de la plus ridicule (les dialogues des poupées, convenues jusqu'à virer dans l'absurde) à la plus profonde (la fin, bouleversante, mariant les émois de la jeunesse et l'éruption des volcans). On a l'impression de se promener dans le film selon notre propre volonté, s'accrochant à tel détail, laissant filer d'autres aspects. Un film libre et fort, belle illustration de la profusion des mondes mis à disposition des gens aujourd'hui.