La Mort de Danton d'Alice Diop - 2011
Il semblerait qu'on ait enfin trouvé, avec Alice Diop, une cinéaste qui sait réellement parler du monde actuel, avec des armes réellement cinématographiques. En tout cas, ce docu s'avère très intéressant à tous points de vue, du côté de ce qui est montré et du côté de la mise en scène, même si le premier tend à supplanter la deuxième, très discrète. Le sujet est un jeune gars "issu des quartiers", comme on dit sur TF1, et qui se pique, pour acquérir une reconnaissance, par rêve, pour se sortir de sa timidité, de devenir comédien. Ou plutôt, "acteur" comme Gabin et Ventura, ses modèles. Il s'inscrit au Cours Simon, et Diop suit son parcours, ses doutes, ses maladresses avec un intérêt et une sympathie communicatifs. Steve est un peu autiste, ne cherchant pas du tout à sociabiliser, mordant ses doigts au moment de rencontrer ses profs ou son agent, mal à l'aise avec ses potes de cité à qui il n'arrive pas à confier son choix artistique. Toujours le cul entre deux univers à l'opposé l'un de l'autre (les bars HLM, le shit et la glande versus le théâtre, les intellos et les cocktails), il est à l'exact endroit de la jeunesse aujourd'hui : ni tout à fait inclue, ni tout à faix exclue. Steve apparaît comme un extra-terrestre dans le milieu du théâtre, parce que noir, parce qu'issu de l'immigration, parce que peu cultivé. Pourtant il aimerait jouer Danton depuis qu'il a vu Depardieu briller dans le rôle. Mais complètement désemparé face à cette présence massive et brute de décoffrage, les profs ne lui proposent que des rôles de bons Noirs, comme si la couleur de peau le condamnait à jouer les chauffeurs de Miss Daisy, les esclaves ou au mieux les militants Black Panther.
Presque comme une pote, Diop filme ce corps (physique et social), le bousculant un peu, se révoltant à sa place face aux a-priori de cette société dorée. Elle scrute les signes de la colère chez ce garçon taiseux, montre douloureusement le travail flou des répétitions, où Steve n'est guère à son aise, et livre un message sans lourdeur sur l'acceptation des milieux populaires dans l’intellectualisme parisien. Heureusement, le film sait aussi être très lumineux, quand Steve reçoit des félicitations de sa vieille prof, ou quand, moment magnifique, ses potes viennent le voir sur scène : rigolards et tortins, on le sent à la fois super fiers et un peu mal à l'aise dans cet univers. Malgré ces moments joyeux, le film accuse une fin de non-recevoir quant à l'intégration de ce genre de population dans les milieux élitistes. Certes Steve n'est pas l’acteur le plus talentueux du siècle, mais on sent bien que, quoi qu'il en soit, il ne serait pas accepté dans cet univers, et que c'est plutôt le manque de regard des autres qui signe son échec ("Tu fais peur", lui dit une collègue de travail). Même si le montage du film est un peu sage, un peu traditionnel (la réalisatrice en est à ses coups d'essai), le regard est déjà très affirmé, la révolte sous-jacente et la soif de cinéma évidente. Un film intéressant et déjà pas mal balancé.